Quand on décide de partir faire une première expatriation, on fait une colonne de « + » et une autre de « -« , on les compare, et on se dit que ce saut sans parachute dans ce trou noir de l’inconnu en vaut la peine si la colonne des « + » est plus longue que sa voisine. Une petite dose de folie et une grande envie de chambouler son quotidien permettant ensuite de convaincre les derniers indécis, si besoin en était. Si nous avions à refaire ce tableau aujourd’hui et que nous le comparions avec celui fait il y a un an, la tendance serait très certainement inversée. Pas forcément évident à comprendre vu de l’extérieur, car oui c’est vrai, on vit un truc extraordinaire. Mais à quel prix? Il faut le vivre pour le croire, tellement notre logique, notre culture et notre éducation sont mises à rude épreuve. C’est ce que je vais essayer ici de vous expliquer, et promis, vous ne verrez plus du même oeil le Passe Sanitaire.
Comme je vous l’ai déjà mentionné dans des précédents articles, notre quotidien est rythmé par des scans de QR codes, véritables sésames à la vie, sans quoi nous n’aurions que le droit de rester enfermés chez nous. Il ne s’agit pas juste de scanner ce code pour rentrer dans un restaurant, un musée ou un cinéma (c’est certes très importants mais non vital), mais il faut le faire pour franchir n’importe quelle porte.

Pour exemple, une chose qui nous paraissait complètement inutile au début (mais à présent nous y sommes habitués), c’est qu’il est demandé de scanner pour rentrer dans un mall, et scanner à nouveau 1 minute plus tard pour rentrer dans la boutique 10m plus loin. La raison n’est pas que l’on doit montrer que l’on n’a pas attraper le COVID sur ces 10m (quoiqu’ici plus rien ne m’étonne), mais que la gestion de l’épidémie est devenue plus politique que sanitaire. En effet, une chose importante à savoir quand on vit en Chine est qu’il ne faut surtout pas faire perdre la face à un Chinois. Jamais! Cela reviendrait à lui faire perdre, à lui ainsi qu’à sa famille, son honneur, sa dignité, sa réputation. Le respect des règles est donc essentiel, et chacun n’hésite pas à faire de l’excès de zèle pour absolument être irréprochable, ne pas être remis en cause. Il a été décidé que la Chine appliquerait une politique zéro COVID, alors qu’il en soit ainsi, même si le variant Omicron met cette politique à rude épreuve. Pour reprendre mon exemple de la boutique dans le mall, chacun s’assure ainsi avoir suivi la procédure, avoir été irréprochable, pour ne pas tomber si son voisin ne le faisait pas. Un exemple plus marquant est bien-entendu celui de Shanghaï, où plusieurs hauts responsables ont été limogés, et ont souvent perdu bien plus que leur travail.

Concrètement, comment fonctionnent ces QR codes? Tout d’abord il y a le Health Kit, à présenter absolument partout, même pour rentrer chez soi, chaque province ayant le sien. Pour Pékin, c’est donc celui ci-dessous. En utilisant la fonction « Scan the QR Code to register », on fait apparaître le nombre de jours depuis le dernier test PCR (la règle actuelle est qu’il ne faut pas être au-delà de 3 jours, voir 2 dans certains cas, sachant que si les résultats tombent à 23h59, à 00h01 on est déjà à 1 jour…), ainsi que le statut vaccinal. Difficile de contourner le système, car l’image qui s’affiche est clignotante…
Mais pourquoi vouloir contourner le système me diriez-vous? Car si un cas suspect est trouvé, son emploi du temps des jours précédents est étudié à la loupe, et toutes les personnes susceptibles de l’avoir croisé sont également suspectées et mises en quarantaine. Par exemple, rentrer dans un lieu un jour à 9h, même pour quelques minutes, alors que ce cas suspect y est allé le même jour à 17h, et bien vous êtes bon pour la quarantaine. La durée de la quarantaine est à priori de 14 jours (car les règles sont là, à la fois précises et pas claires, tout dépend de votre comité de quartier). Mais si on vous retrouve au bout du 13ième jour, la quarantaine ne sera que d’un jour. Oui, moi aussi j’ai arrêté d’essayer de comprendre… La conséquence de cela, c’est que l’on vit en permanence avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, et le fil qui la retient n’est pas bien solide… On se pose toujours mille questions sur les risques à aller là ou là, si le jeu en vaut la chandelle. On veut vivre, on veut profiter d’être ici, on ne veut pas rentrer dans cette paranoïa ambiante, mais à quel prix? Je vous ai parlé dans mon dernier article de ce gros cluster ayant démarré dans un bar, à côté de Sanlitun (ceux qui ont lu « Robinson à Pékin » reconnaîtrons). Des amis vivant dans une résidence voisine de ce bar se sont donc retrouvés en quarantaine le lendemain. Ma copine Sophie nous a raconté nous pas avoir été averti officiellement de cette mise en quarantaine, mais elle a été alertée par des voisins que des barrières fermant la résidence étaient en train d’être installées. Elle n’était pas chez elle, son mari non plus, les enfants étaient restés seuls à la maison avec Ayi pour faire leur visio avec l’école. Ils sont donc rentrés en catastrophe, et ont dû pas mal négocier pour qu’on les laisse rentrer chez eux. Des capteurs ont alors été installés à toutes les portes d’entrée des appartements, comme le montre la photo ci-dessous. Il s’agit d’un capteur qui envoie une alarme dès que la porte s’ouvre, celle-ci ne pouvant s’ouvrir que pour aller se faire tester, et pour ramasser le sac de courses livré de l’autre côté de la porte. Mais comme on arrive toujours à trouver le verre à moitié plein, c’est mille fois mieux d’être enfermé ainsi que dans un centre de quarantaine centralisée.

Nous avons toujours réussi à passer au travers des mailles du filets, mais jusqu’à quand cela va-t-il durer?
En plus de ce Health Kit propre à chaque province, qui nous permet donc de nous déplacer dans ladite province, il y a aussi un autre mini-program à l’échelle nationale: la flèche verte, et sa maudite étoile (comme en rouge ci-dessous):

C’est à cause de cette étoile que nous sommes coincés à Pékin depuis notre arrivée ici. Elle peut être rouge, orange (j’ignore la règle pour avoir ces couleurs, et je préfère ne pas le savoir), ou verte. Mais la couleur verte ne signifie pas forcément que tout est bon: si vous êtes passés par une ville avec une zone à risque moyen ou élevés, même si vous n’êtes pas rentré dans une de ces zones, un astérisque apparaît, et la plupart des villes chinoises ne vous accepteront pas sans que vous ayez fait de quarantaine à votre arrivée dans la ville. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons une seconde fois décalé nos vacances, pourtant tant attendues, car toutes personnes venant de Pékin ou Shanghaï doivent effectuer une quarantaine de 7 jours à leur arrivée dans le Yunnan. Nous avons une étoile pour Pékin depuis avril (elle avait avant disparu pour quelques jours seulement), et au moment où je vous écris, elle devrait disparaître le 5 juillet, inch’allah! Quelle est la règle qui régit tout cela? Si j’ai bien compris, car il s’agit encore d’une règle à la fois très précise et en même temps non énoncée clairement
- apparition de l’étoile: quand une zone passe à un niveau de risque moyen ou élevé, ce qui arrive quand il y a plus d’un cas dans ladite zone sur 24h (nous ne sommes clairement pas dans les mêmes ordres de grandeur que partout ailleurs dans le monde)
- disparition de l’étoile: s’il n’y a pas eu d’upgrade de zone sur une période de 14 jours consécutifs
Quotidiennement, nous recevons cette publication, avec un récapitulatif des zones à risques en Chine, et le nombre quotidien de transmissions. C’est un tantinet anxiogène à la longue, je vous l’accorde.

On voit donc qu’aujourd’hui il n’y a pas eu de transmission COVID à Pékin (youpi, ça sent bon les vacances!!), Pékin étant actuellement la seule ville avec une zone à haut risque (pire qu’à Shanghaï donc). Il n’y a plus de trop de petits ronds sur cette carte, il y a peu de temps encore c’était pourtant un vrai sapin de Noël!
Cette étoile peut rapidement transformer tout déplacement en Chine en vrai cauchemar, surtout quand on est étranger, et encore plus quand on ne parle pas le chinois. Petite histoire qu’une copine belge m’a racontée (et heureusement elle parle parfaitement le chinois!). L’année dernière elle était partie en train pour des vacances avec son conjoint, vers une ville hors de Pékin, je ne me souviens laquelle. Pendant le trajet, apparition de la maudite étoile, une zone venant de passer à un niveau de risque moyen à Pékin. Anticipant que les hôtels ne les accepteraient plus, elle prit deux billets retour pour Pékin pour repartir dans l’autre sens dès leur arrivée à destination. Les différents contrôles en vigueur à leur arrivée à la gare de cette ville dont je ne me souviens le nom étaient tels qu’il fallait sortir de la gare, pour ensuite y re-rentrer pour prendre le train de retour. Sauf que la police ne les laissa pas passer, sous prétexte qu’il fallait être vacciné pour revenir à Pékin (alors qu’ils y étaient 3h plus tôt, et surtout que la vaccination n’y est pas obligatoire), encore un exemple d’excès de zèle des autorités. Les hôtels ne les acceptant plus du fait de l’étoile, la seule solution proposée fut qu’ils se fassent vacciner pour remonter dans le train. Elle prétexta alors une grossesse (imaginaire) pour justifier ne pas pouvoir se faire vacciner. La seule réponse reçue fut alors que son compagnon se fasse vacciner et rentre seul à Pékin, tant pis pour elle. Face à cette situation assez cocasse, après avoir passé la nuit sur un banc de la gare, ils trouvèrent comme solution de prendre un train les emmenant dans une autre ville encore plus loin, où là ils purent prendre un train pour Pékin sans avoir à prouver un quelconque schéma vaccinal. Oui… cet astérisque peut provoquer des situations dignes des 12 travaux d’Astérix…
En parlant du vaccin, nous avons quitté la France avant d’avoir eu la possibilité de faire notre troisième dose de Pfizer. Nous n’avons donc pas de schéma vaccinal complet. Les vaccins non chinois n’étant pas reconnus en Chine, il faudrait que l’on se fasse injecter 3 doses de Sinovac afin d’avoir un schéma vaccinal complet, mais sans dire que nous avons déjà reçu du Pfizer, les 2 vaccins ne pouvant se superposer dans ce sens. Les ambassades ont pu avoir des doses de Pfizer ou Moderna, mais uniquement pour les diplomates et leur famille, ceux-ci étant protégés par la convention de Vienne. Oui, c’est assez injuste… Espérons juste que l’on trouve une solution avant que la vaccination ne devienne obligatoire, car cela pourrait sérieusement complexifier encore plus notre quotidien en très peu de temps. A noter que dans Pékin, certains hôtels imposent déjà que leurs clients soient vaccinés (cette règle ne concernant que les étrangers).
Comme vous pouvez le supputer, le quotidien ici est très anxiogène, frustrant d’injustice, et très irrationnel. Derrière toutes ces mesures, nous sommes convaincus qu’il y a aussi une volonté de contrôler la vie de gens, de tout savoir sur ce qu’ils font. En plus de ces mini-programs qui permettent de nous suivre à la trace, les autorités passent par exemple par les écoles pour suivre tous nos déplacements. En effet, de façon quotidienne l’école devra pendant les vacances scolaires signaler à la communauté éducative du notre district tout déplacement inter-régional et à l’étranger, des élèves ainsi que de leurs cohabitants. Et c’est un exemple parmi tant d’autres! Si vous saviez les documents que nous avons été obligé de signer pour que les enfants puissent rentrer dans l’enceinte de l’école… Notamment une attestation sur l’honneur que « nous vivons une vie simple »: « Il ne faut pas vous rendre dans les « endroits où les gens se rassemblent », ne pas assister aux formations hors ligne en dehors de l’école et autres activités de rassemblement. Il faut vivre une vie simple. » La lettre suivante était assez équivalente en termes de contenu, mais à la fin il était demandé à ce que ça soit la personne rentrant dans l’établissement qui la signe, et non leur représentant légal… ! La fermeture des écoles annoncées dès le lendemain a permis d’éviter une révolution de la part des parents.
Mais où allons-nous? Nous avons le sentiment que le pays se replie sur lui-même, qu’il se coupe du reste du monde, à l’instar de la partie nord de notre voisin plus à l’Est. Des assouplissements pour l’obtention des VISA de travail sont annoncés, les durées des quarantaines pour les retours de l’international vont être réduites, mais à quoi cela rime-t-il quand les avions sont annulés les uns après les autres? Cela fait plus de 2,5 ans qu’il n’y a plus de touristes étrangers ici, et les systèmes ont tellement évolués depuis qu’il serait impossible (ou en tous cas très compliqué) pour un touriste de venir quelques jours en vacances ici sont être accompagnés en permanence d’un guide. Un changement dans l’autre sens pourrait bien-entendu être fait tout aussi rapidement, mais l’on ne ressent pas du tout de volonté à aller dans ce sens. Je ne sais pas dans quelle période nous vivons, mais peut-être qu’un jour nous dirons « on y était quand ça s’est passé… ».
Pour conclure sur un trait d’humour, je voulais vous partager quelques SMS du fameux numéro 10100, qui nous envoie régulièrement des messages nous rappelant les bonnes règles de conduite à tenir face à l’épidémie. Il est évidement probable que la traduction proposée par l’iPhone ne soit pas parfaite, mais donne en conséquence des messages assez cocasses:
【公益短信】疫霾渐散,夏满京城。谁不想好友相聚、出门远游、拥抱自然?但是解封不等于解防,管控上松一尺、病毒可能攻一丈。只有市民朋友守住责任防线、个人防线,才能持续巩固来之不易的防控成果。【北京防控办】
[Message texte sur le bien-être public] L’épidémie se dissipe progressivement, et l’été est plein de capitaux. Qui ne veut pas que les amis se réunissent, partent pour un long voyage et embrassent la nature ? Cependant, le déblocage n’équivaut pas au déblocage. Le contrôle est relâché et le virus peut attaquer. Ce n’est que lorsque les citoyens conservent la ligne de défense de responsabilité et la ligne de défense personnelle qu’ils peuvent continuer à consolider les réalisations durement acquises en matière de prévention et de contrôle. [ Bureau de prévention et de contrôle de Pékin]
【公益短信】扫码测温别嫌烦,养成习惯保安全。当前疫情传播风险依然存在,请市民朋友进入社区(村)、单位、商务楼宇、商场超市、宾馆酒店、乡村民宿、餐饮饭店等公共场所时按要求测温验码。您的每一次驻足,既是科学防疫的必要环节,又是首都市民的文明体现。【北京防控办】
[SMS pour le bien-être public] Scannez le code pour mesurer la température. Ne vous inquiétez pas. Développez des habitudes pour assurer la sécurité. À l’heure actuelle, le risque de propagation de l’épidémie existe toujours. Les citoyens sont invités à prendre les codes de contrôle de la température au besoin lorsqu’ils entrent dans les communautés (villages), les unités, les bâtiments commerciaux, les centres commerciaux, les supermarchés, les hôtels, les familles d’accueil rurales, les restaurants et autres lieux publics. Chaque fois que vous vous arrêtez, ce n’est pas seulement un lien nécessaire pour la prévention scientifique des épidémies, mais aussi une incarnation civilisée des citoyens de la capitale. [ Bureau de prévention et de contrôle de Pékin]























