Mois : juin 2022

Fichue étoile!

Fichue étoile!

Quand on décide de partir faire une première expatriation, on fait une colonne de « + » et une autre de « -« , on les compare, et on se dit que ce saut sans parachute dans ce trou noir de l’inconnu en vaut la peine si la colonne des « + » est plus longue que sa voisine. Une petite dose de folie et une grande envie de chambouler son quotidien permettant ensuite de convaincre les derniers indécis, si besoin en était. Si nous avions à refaire ce tableau aujourd’hui et que nous le comparions avec celui fait il y a un an, la tendance serait très certainement inversée. Pas forcément évident à comprendre vu de l’extérieur, car oui c’est vrai, on vit un truc extraordinaire. Mais à quel prix? Il faut le vivre pour le croire, tellement notre logique, notre culture et notre éducation sont mises à rude épreuve. C’est ce que je vais essayer ici de vous expliquer, et promis, vous ne verrez plus du même oeil le Passe Sanitaire.

Comme je vous l’ai déjà mentionné dans des précédents articles, notre quotidien est rythmé par des scans de QR codes, véritables sésames à la vie, sans quoi nous n’aurions que le droit de rester enfermés chez nous. Il ne s’agit pas juste de scanner ce code pour rentrer dans un restaurant, un musée ou un cinéma (c’est certes très importants mais non vital), mais il faut le faire pour franchir n’importe quelle porte. 

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Les mini-progams WeChat, avec le Health Kit de Pékin et la flèche verte avec son étoile qui tue

Pour exemple, une chose qui nous paraissait complètement inutile au début (mais à présent nous y sommes habitués), c’est qu’il est demandé de scanner pour rentrer dans un mall, et scanner à nouveau 1 minute plus tard pour rentrer dans la boutique 10m plus loin. La raison n’est pas que l’on doit montrer que l’on n’a pas attraper le COVID sur ces 10m (quoiqu’ici plus rien ne m’étonne), mais que la gestion de l’épidémie est devenue plus politique que sanitaire. En effet, une chose importante à savoir quand on vit en Chine est qu’il ne faut surtout pas faire perdre la face à un Chinois. Jamais! Cela reviendrait à lui faire perdre, à lui ainsi qu’à sa famille, son honneur, sa dignité, sa réputation. Le respect des règles est donc essentiel, et chacun n’hésite pas à faire de l’excès de zèle pour absolument être irréprochable, ne pas être remis en cause. Il a été décidé que la Chine appliquerait une politique zéro COVID, alors qu’il en soit ainsi, même si le variant Omicron met cette politique à rude épreuve. Pour reprendre mon exemple de la boutique dans le mall, chacun s’assure ainsi avoir suivi la procédure, avoir été irréprochable, pour ne pas tomber si son voisin ne le faisait pas. Un exemple plus marquant est bien-entendu celui de Shanghaï, où plusieurs hauts responsables ont été limogés, et ont souvent perdu bien plus que leur travail. 

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l’avantage des files d’attente pour se faire tester, c’est que l’on assiste à un véritable défilé de mode. Ici, je vous présente le style « t-shirt cousu sur un autre t-shirt! »

Concrètement, comment fonctionnent ces QR codes? Tout d’abord il y a le Health Kit, à présenter absolument partout, même pour rentrer chez soi, chaque province ayant le sien. Pour Pékin, c’est donc celui ci-dessous. En utilisant la fonction « Scan the QR Code to register », on fait apparaître le nombre de jours depuis le dernier test PCR (la règle actuelle est qu’il ne faut pas être au-delà de 3 jours, voir 2 dans certains cas, sachant que si les résultats tombent à 23h59, à 00h01 on est déjà à 1 jour…), ainsi que le statut vaccinal. Difficile de contourner le système, car l’image qui s’affiche est clignotante… 

 

Mais pourquoi vouloir contourner le système me diriez-vous? Car si un cas suspect est trouvé, son emploi du temps des jours précédents est étudié à la loupe, et toutes les personnes susceptibles de l’avoir croisé sont également suspectées et mises en quarantaine. Par exemple, rentrer dans un lieu un jour à 9h, même pour quelques minutes, alors que ce cas suspect y est allé le même jour à 17h, et bien vous êtes bon pour la quarantaine. La durée de la quarantaine est à priori de 14 jours (car les règles sont là, à la fois précises et pas claires, tout dépend de votre comité de quartier). Mais si on vous retrouve au bout du 13ième jour, la quarantaine ne sera que d’un jour. Oui, moi aussi j’ai arrêté d’essayer de comprendre… La conséquence de cela, c’est que l’on vit en permanence avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, et le fil qui la retient n’est pas bien solide… On se pose toujours mille questions sur les risques à aller là ou là, si le jeu en vaut la chandelle. On veut vivre, on veut profiter d’être ici, on ne veut pas rentrer dans cette paranoïa ambiante, mais à quel prix? Je vous ai parlé dans mon dernier article de ce gros cluster ayant démarré dans un bar, à côté de Sanlitun (ceux qui ont lu « Robinson à Pékin » reconnaîtrons). Des amis vivant dans une résidence voisine de ce bar se sont donc retrouvés en quarantaine le lendemain. Ma copine Sophie nous a raconté nous pas avoir été averti officiellement de cette mise en quarantaine, mais elle a été alertée par des voisins que des barrières fermant la résidence étaient en train d’être installées. Elle n’était pas chez elle, son mari non plus, les enfants étaient restés seuls à la maison avec Ayi pour faire leur visio avec l’école. Ils sont donc rentrés en catastrophe, et ont dû pas mal négocier pour qu’on les laisse rentrer chez eux. Des capteurs ont alors été installés à toutes les portes d’entrée des appartements, comme le montre la photo ci-dessous. Il s’agit d’un capteur qui envoie une alarme dès que la porte s’ouvre, celle-ci ne pouvant s’ouvrir que pour aller se faire tester, et pour ramasser le sac de courses livré de l’autre côté de la porte. Mais comme on arrive toujours à trouver le verre à moitié plein, c’est mille fois mieux d’être enfermé ainsi que dans un centre de quarantaine centralisée.

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Nous avons toujours réussi à passer au travers des mailles du filets, mais jusqu’à quand cela va-t-il durer? 

En plus de ce Health Kit propre à chaque province, qui nous permet donc de nous déplacer dans ladite province, il y a aussi un autre mini-program à l’échelle nationale: la flèche verte, et sa maudite étoile (comme en rouge ci-dessous):

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C’est à cause de cette étoile que nous sommes coincés à Pékin depuis notre arrivée ici. Elle peut être rouge, orange (j’ignore la règle pour avoir ces couleurs, et je préfère ne pas le savoir), ou verte. Mais la couleur verte ne signifie pas forcément que tout est bon: si vous êtes passés par une ville avec une zone à risque moyen ou élevés, même si vous n’êtes pas rentré dans une de ces zones, un astérisque apparaît, et la plupart des villes chinoises ne vous accepteront pas sans que vous ayez fait de quarantaine à votre arrivée dans la ville. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons une seconde fois décalé nos vacances, pourtant tant attendues, car toutes personnes venant de Pékin ou Shanghaï doivent effectuer une quarantaine de 7 jours à leur arrivée dans le Yunnan. Nous avons une étoile pour Pékin depuis avril (elle avait avant disparu pour quelques jours seulement), et au moment où je vous écris, elle devrait disparaître le 5 juillet, inch’allah! Quelle est la règle qui régit tout cela? Si j’ai bien compris, car il s’agit encore d’une règle à la fois très précise et en même temps non énoncée clairement

  • apparition de l’étoile: quand une zone passe à un niveau de risque moyen ou élevé, ce qui arrive quand il y a plus d’un cas dans ladite zone sur 24h (nous ne sommes clairement pas dans les mêmes ordres de grandeur que partout ailleurs dans le monde)
  • disparition de l’étoile: s’il n’y a pas eu d’upgrade de zone sur une période de 14 jours consécutifs

Quotidiennement, nous recevons cette publication, avec un récapitulatif des zones à risques en Chine, et le nombre quotidien de transmissions. C’est un tantinet anxiogène à la longue, je vous l’accorde.

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On voit donc qu’aujourd’hui il n’y a pas eu de transmission COVID à Pékin (youpi, ça sent bon les vacances!!), Pékin étant actuellement la seule ville avec une zone à haut risque (pire qu’à Shanghaï donc). Il n’y a plus de trop de petits ronds sur cette carte, il y a peu de temps encore c’était pourtant un vrai sapin de Noël!

Cette étoile peut rapidement transformer tout déplacement en Chine en vrai cauchemar, surtout quand on est étranger, et encore plus quand on ne parle pas le chinois. Petite histoire qu’une copine belge m’a racontée (et heureusement elle parle parfaitement le chinois!). L’année dernière elle était partie en train pour des vacances avec son conjoint, vers une ville hors de Pékin, je ne me souviens laquelle. Pendant le trajet, apparition de la maudite étoile, une zone venant de passer à un niveau de risque moyen à Pékin. Anticipant que les hôtels ne les accepteraient plus, elle prit deux billets retour pour Pékin pour repartir dans l’autre sens dès leur arrivée à destination. Les différents contrôles en vigueur à leur arrivée à la gare de cette ville dont je ne me souviens le nom étaient tels qu’il fallait sortir de la gare, pour ensuite y re-rentrer pour prendre le train de retour. Sauf que la police ne les laissa pas passer, sous prétexte qu’il fallait être vacciné pour revenir à Pékin (alors qu’ils y étaient 3h plus tôt, et surtout que la vaccination n’y est pas obligatoire), encore un exemple d’excès de zèle des autorités. Les hôtels ne les acceptant plus du fait de l’étoile, la seule solution proposée fut qu’ils se fassent vacciner pour remonter dans le train. Elle prétexta alors une grossesse (imaginaire) pour justifier ne pas pouvoir se faire vacciner. La seule réponse reçue fut alors que son compagnon se fasse vacciner et rentre seul à Pékin, tant pis pour elle. Face à cette situation assez cocasse, après avoir passé la nuit sur un banc de la gare, ils trouvèrent comme solution de prendre un train les emmenant dans une autre ville encore plus loin, où là ils purent prendre un train pour Pékin sans avoir à prouver un quelconque schéma vaccinal. Oui… cet astérisque peut provoquer des situations dignes des 12 travaux d’Astérix…

En parlant du vaccin, nous avons quitté la France avant d’avoir eu la possibilité de faire notre troisième dose de Pfizer. Nous n’avons donc pas de schéma vaccinal complet. Les vaccins non chinois n’étant pas reconnus en Chine, il faudrait que l’on se fasse injecter 3 doses de Sinovac afin d’avoir un schéma vaccinal complet, mais sans dire que nous avons déjà reçu du Pfizer, les 2 vaccins ne pouvant se superposer dans ce sens. Les ambassades ont pu avoir des doses de Pfizer ou Moderna, mais uniquement pour les diplomates et leur famille, ceux-ci étant protégés par la convention de Vienne. Oui, c’est assez injuste… Espérons juste que l’on trouve une solution avant que la vaccination ne devienne obligatoire, car cela pourrait sérieusement complexifier encore plus notre quotidien en très peu de temps. A noter que dans Pékin, certains hôtels imposent déjà que leurs clients soient vaccinés (cette règle ne concernant que les étrangers).

Comme vous pouvez le supputer, le quotidien ici est très anxiogène, frustrant d’injustice, et très irrationnel. Derrière toutes ces mesures, nous sommes convaincus qu’il y a aussi une volonté de contrôler la vie de gens, de tout savoir sur ce qu’ils font. En plus de ces mini-programs qui permettent de nous suivre à la trace, les autorités passent par exemple par les écoles pour suivre tous nos déplacements. En effet, de façon quotidienne l’école devra pendant les vacances scolaires signaler à la communauté éducative du notre district  tout déplacement inter-régional et à l’étranger, des élèves ainsi que de leurs cohabitants. Et c’est un exemple parmi tant d’autres! Si vous saviez les documents que nous avons été obligé de signer pour que les enfants puissent rentrer dans l’enceinte de l’école… Notamment une attestation sur l’honneur que « nous vivons une vie simple »: « Il ne faut pas vous rendre dans les « endroits où les gens se rassemblent », ne pas assister aux formations hors ligne en dehors de l’école et autres activités de rassemblement. Il faut vivre une vie simple. » La lettre suivante était assez équivalente en termes de contenu, mais à la fin il était demandé à ce que ça soit la personne rentrant dans l’établissement qui la signe, et non leur représentant légal… ! La fermeture des écoles annoncées dès le lendemain a permis d’éviter une révolution de la part des parents.

Mais où allons-nous? Nous avons le sentiment que le pays se replie sur lui-même, qu’il se coupe du reste du monde, à l’instar de la partie nord de notre voisin plus à l’Est. Des assouplissements pour l’obtention des VISA de travail sont annoncés, les durées des quarantaines pour les retours de l’international vont être réduites, mais à quoi cela rime-t-il quand les avions sont annulés les uns après les autres? Cela fait plus de 2,5 ans qu’il n’y a plus de touristes étrangers ici, et les systèmes ont tellement évolués depuis qu’il serait impossible (ou en tous cas très compliqué) pour un touriste de venir quelques jours en vacances ici sont être accompagnés en permanence d’un guide. Un changement dans l’autre sens pourrait bien-entendu être fait tout aussi rapidement, mais l’on ne ressent pas du tout de volonté à aller dans ce sens. Je ne sais pas dans quelle période nous vivons, mais peut-être qu’un jour nous dirons « on y était quand ça s’est passé… ».

Pour conclure sur un trait d’humour, je voulais vous partager quelques SMS du fameux numéro 10100, qui nous envoie régulièrement des messages nous rappelant les bonnes règles de conduite à tenir face à l’épidémie. Il est évidement probable que la traduction proposée par l’iPhone ne soit pas parfaite, mais donne en conséquence des messages assez cocasses:

【公益短信】疫霾渐散,夏满京城。谁不想好友相聚、出门远游、拥抱自然?但是解封不等于解防,管控上松一尺、病毒可能攻一丈。只有市民朋友守住责任防线、个人防线,才能持续巩固来之不易的防控成果。【北京防控办】

[Message texte sur le bien-être public] L’épidémie se dissipe progressivement, et l’été est plein de capitaux. Qui ne veut pas que les amis se réunissent, partent pour un long voyage et embrassent la nature ? Cependant, le déblocage n’équivaut pas au déblocage. Le contrôle est relâché et le virus peut attaquer. Ce n’est que lorsque les citoyens conservent la ligne de défense de responsabilité et la ligne de défense personnelle qu’ils peuvent continuer à consolider les réalisations durement acquises en matière de prévention et de contrôle. [ Bureau de prévention et de contrôle de Pékin]

【公益短信】扫码测温别嫌烦,养成习惯保安全。当前疫情传播风险依然存在,请市民朋友进入社区(村)、单位、商务楼宇、商场超市、宾馆酒店、乡村民宿、餐饮饭店等公共场所时按要求测温验码。您的每一次驻足,既是科学防疫的必要环节,又是首都市民的文明体现。【北京防控办】

[SMS pour le bien-être public] Scannez le code pour mesurer la température. Ne vous inquiétez pas. Développez des habitudes pour assurer la sécurité. À l’heure actuelle, le risque de propagation de l’épidémie existe toujours. Les citoyens sont invités à prendre les codes de contrôle de la température au besoin lorsqu’ils entrent dans les communautés (villages), les unités, les bâtiments commerciaux, les centres commerciaux, les supermarchés, les hôtels, les familles d’accueil rurales, les restaurants et autres lieux publics. Chaque fois que vous vous arrêtez, ce n’est pas seulement un lien nécessaire pour la prévention scientifique des épidémies, mais aussi une incarnation civilisée des citoyens de la capitale. [ Bureau de prévention et de contrôle de Pékin]

 

Le (et l’ancien!) Palais d’été

Le (et l’ancien!) Palais d’été

Tout d’abord quelques nouvelles du front pékinois. Finalement pas de reprise en présentiel des enfants à l’école d’ici à la fin de cette année scolaire. Re-fermeture des bars et d’un grand nombre de lieux culturels, et il est de plus en plus probable que nous devions décaler à nouveau nos vacances dans le Yunnan… La raison: une personne qui s’ignorait positive (car n’avait pas fait les tests PCR requis toutes les 48h par les autorités pékinoises depuis 2 semaines) a fait la tournée des bars il y a une dizaine de jours (dans un quartier que l’on pourrait comparer au Carré, les Liégeois comprendront), et lesdits bars ne contrôlaient pas scrupuleusement les Health Kit. Résultats: le plus gros cluster COVID jamais enregistré à Pékin depuis le début de la pandémie. Le monsieur en question est à présent en prison paraît-il. Le plus terrible dans cette histoire, c’est que des lycéens du lycée français se trouvaient dans un de ces bars pour fêter la fin de l’année scolaire, et une dizaine d’entre-eux ont été envoyés (seuls) en quarantaine centralisée. Comme disait mon amie Lydie hier matin, une semaine en Chine nous fait gagner 10 ans en maturité, sagesse, résilience. Vous n’allez plus nous reconnaître quand nous reviendrons! 😂

Quand j’ai besoin de me convaincre que notre séjour ici est tout de même une belle expérience, et bien j’écris! Aujourd’hui, je vous propose donc une visite du Palais d’été (Yíhéyuán 颐和园, littéralement jardin de l’harmonie préservée), ainsi que de l’ancien Palais d’été (Yuánmíng Yuán 圆明园, jardin de la clarté parfaite), difficile en effet pour moi de les dissocier. Situé au nord-ouest de la Cité Interdite, dans le quartier des prestigieuses universités chinoises, ce lieu est immense. La visite dont je vais vous parler, nous l’avons d’ailleurs faite en trois fois, dont la première en février, une des journée les plus froide de notre premier hiver pékinois.

Le Palais d’été qui existe aujourd’hui a été construit dans les années 1880, vers la fin du La dynastie Qing (1636 – 1912). Bien qu’il soit appelé « Palais », il s’agit en réalité d’un gigantesque jardin, considéré comme le plus bel exemple au monde de jardin impérial chinois. Ce que beaucoup de gens ne réalisent pas en visitant le Palais d’été aujourd’hui, c’est que ce jardin grandiose et impressionnant n’est en fait que l’ombre de lui-même. En effet, le Palais d’été d’origine, achevé en 1764, a été détruit par les forces britanniques et françaises en 1860, au cours de la seconde guerre de l’opium. Cet épisode historique, bien qu’oublié par une grande partie du monde, continue encore aujourd’hui à être considéré comme un symbole de l’humiliation infligée à la Chine par les puissances occidentales.

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Gravure représentant le sac de l’ancien Palais d’été en octobre 1860

L’ancien Palais d’été:

Le site originel était constitué de trois jardins, et à eux trois ils étaient cinq fois plus étendus que la Cité Interdite et représentaient huit fois la taille de la cité du Vatican. Les empereurs de la dynastie Qing y résidaient et y menaient les affaires d’État (la Cité interdite étant destinée aux cérémonies officielles).

Considéré comme un chef-d’oeuvre de l’art des jardins paysagers chinois, on trouvait dans ce « Versailles de l’Orient » des centaines de structures : salles, pavillons, temples, galeries, jardins à la française, lacs, ponts et labyrinthes. Des centaines d’œuvres d’art et de pièces d’antiquité chinoises étaient conservées dans les salles, ainsi que des exemplaires uniques d’ouvrages et d’anthologies littéraires, faisant ainsi des jardins impériaux une des plus grandes collections au monde. L’empereur affirmait son pouvoir impérial et divin en composant une centaine de paysages, réels ou imaginaires, qui reproduisaient le relief de l’empire, ses neuf continents mythiques, la mer de Chine et l’île légendaire de immortels (*). Il fit également recréer des paysages de la Chine méridionale qui le fascinait.

(*) Dans la mythologie chinoise, le Mont Penglai est la maison des huit Immortels. Ces huit Immortels connaissaient les secrets de la nature. Ces êtres mystérieux sont considérés comme des super-humains qui contrôlent tous les aspects de la vie. Chacun des pouvoirs que détient un immortel peut être transféré à un outil qui peut donner la vie ou détruire le mal. On dit que les huit Immortels vivent dans une montagne des îles Penglai, mais l’emplacement de leur foyer demeure un mystère non résolu. Le mont Penglai est aussi la maison d’Anqi Sheng, un sorcier chinois immortel.

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Illustration de ce que devait être l’ancien Palais d’été à Pékin

A présent, il n’en reste presque rien, sauf des ruines notamment de style occidental. Mais que l’on ne s’y trompe pas, les constructions de style européen étaient assez marginales dans le palais, ayant été construites par les Jésuites afin de satisfaire le goût prononcé de l’empereur Qianlong pour l’architecture italienne et française.

Et des restes de ruines de style plus chinois

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quelques rares restes des ruines de style plus chinois, avec ces sculptures de Shī

Parmi les aménagements apportés au fil des ans, des ouvrages d’eau faits de ruisseaux, lacs et étangs, ont été construits. C’est surtout cela qu’il reste à présent dans l’ancien Palais d’été. Voyez la comparaison entre début mai et maintenant: les lacs et étangs ont été recouverts de lotus et de nénuphars.

Début mai:

Mi-juin:

D’ailleurs, connaissez-vous la différence entre le nénuphar et le lotus? Les feuilles et fleurs de lotus montent, alors que celles des nénuphars restent sur l’eau.

Déambulation dans ce qu’il reste d’un labyrinthe. Il est d’ailleurs assez bien conservé, un mur qui s’effrite fait apparaitre de la brique, qui ne nous semble pas d’époque. Il s’agit sans doute d’une restauration, ici il est toujours assez difficile de différencier ce qui est réellement ancien, et ce qui a été restauré récemment.

J’ouvre ici une petite parenthèse en zoomant sur des gravures de ce labyrinthe, avec cette représentation ressemblant de façon perturbante à la croix gammée nazie. On en voit très régulièrement ici, notamment dans les temples bouddhistes. En réalité, ce symbole est vieux de plus de 5000 ans, et a une connotation très positive en Asie, puisqu’il est synonyme de fortune, de longue vie et était même une représentation du Bouddha lui-même.

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Le Palais fut anéanti une première fois en 1860 par « des diables étrangers ». En effet, en octobre de l’année 1860, lors de la seconde guerre de l’opium (**), une délégation britannique se rendit de Tianjin à Pékin afin de contraindre l’empereur à ouvrir son pays à leurs commerçants et missionnaires. Au lieu de cela, ils furent arrêtés et de nombreux membres de la délégation furent torturés à mort. En guise de représailles, Lord Elgin ordonna aux troupes britanniques de réduire en cendres le Palais d’été, qui avait déjà été pillé par les Français et les Anglais. Beaucoup des trésors volés sont encore aujourd’hui en Europe, je présume notamment au Louvre et au British Museum.

(**) la seconde guerre de l’opium peut être considérée comme un prolongement de la première guerre de l’opium. Il s’agit d’un conflit militaire motivé par des raisons commerciales, opposant le Royaume-Unis et la France à l’empire Qing. Pour faire très simple, ce conflit est dû à la volonté de l’Occident d’imposer à la Chine l’autorisation de commercer l’opium

« Il y avait, dans un coin du monde, une merveille du monde, mais cette merveille a disparu», écrit Victor Hugo en 1861. Fou de rage, l’écrivain s’adresse à un officier anglais, le capitaine Butler, pour s’indigner de la destruction un an plus tôt du Palais d’été de Pékin, dont la renommée égalait à ses yeux le Parthénon, les Pyramides, le Colisée et Notre-Dame de Paris. Il pointe du doigt les deux «bandits» responsables de ce crime: la France, qui a pillé ce «chef-d’œuvre», et l’Angleterre, qui l’a incendié (après s’être également bien servie).

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Buste de Victor Hugo

Extrait de la lettre au capitaine Butler par Victor Hugo le 25 novembre 1861 (je vous la retranscris ci-dessous)

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Extrait de la lettre de Victor Hugo au capitaine

Au capitaine Butler

Un jour, deux bandits sont entrés dans le Palais d’été. L’un a pillé, l’autre a incendié. La victoire peut être une voleuse à ce qu’il paraît. Une dévastation en grand du Palais d’été s’est faite de compte à demi entre les deux vainqueurs. On voit mêlé à tout cela le nom d’Elgin, qui a la propriété fatale de rappeler le Parthénon. Ce qu’on avait fait au Parthénon, on l’a fait au Palais d’été, plus complètement et mieux, de manière à ne rien laisser. Tous les trésors de toutes nos cathédrales réunies n’égaleraient pas ce formidable et splendide musée de l’Orient. Il n’y avait pas seulement là des chefs-d’oeuvre d’art, il y avait des entassements d’orfèvreries. Grand exploit, bonne aubaine. L’un des deux vainqueurs a empli ses poches, ce que voyant, l’autre a empli ses coffres; et l’on est revenu en Europe, bras dessus, bras dessous, en riant. Telle est l’histoire des deux bandits.

Nous Européens, nous sommes les civilisés, et pour nous les Chinois sont les barbares. Voilà ce que la civilisation a fait à la barbarie.

Devant l’histoire, l’un des deux bandits s’appellera la France, l’autre s’appellera l’Angleterre. Mais je proteste, et je vous remercie de m’en donner l’occasion! Les crimes de ceux qui mènent ne sont pas la faute de ceux qui sont menés, les gouvernements sont quelques fois des bandits, les peuples jamais.

L’empire français a empoché la moitié de cette victoire et il étale aujourd’hui, avec une sorte de naïveté de propriétaire le splendide bric-à-brac du Palais d’été. J’espère qu’un jour viendra où la France, délivrée et nettoyée renverra ce butin à la Chine spoliée.

En attendant, il y a un vol et deux voleurs

…….

Le Palais fut anéanti une seconde fois lors de l’intervention des 8 forces alliées suite à la révolte des Boxers en 1900 (insurrection nationaliste chinoise menée par la société secrète des Boxers contre les légations étrangères et les missions catholiques à Pékin). La nature repris alors le dessus, et l’ancien Palais d’été devint alors un véritable self-service à ciel ouvert: pierres et bas-reliefs y furent pillés et utilisés pour d’autres édifices. On a présent du mal à imaginer ce que fut autrefois ce Versailles de l’Orient.

Le Palais d’été (le nouveau):

Ce jardin impérial regroupe trois secteurs répondant chacun à une fonction particulière: activités politiques et administratives, résidence impériale, méditation et communion avec la nature dans le jardin paysager. Le palais d’été illustre parfaitement l’art du jardin paysager chinois en vogue sous les dynasties impériales en Chine. Entre 1750 et 1764, l’empereur Qianlong (dynastie Qing) créa le jardin des Ondes claires (appelé palais d’été à la fin du XIXième siècle) autour du lac Kūnmíng, et fit construire des temples et pavillons sur la colline de la Longévité, nom donné à l’occasion du soixantième anniversaire de sa mère.

Tout comme l’ancien Palais d’été, il fut très endommagé en 1860, lors de la seconde guerre de l’opium. Plus petit que l’ancien, le jardin et ses édifices furent reconstruits à partir de 1886, pour l’impératrice douairière Cixi. C’est là qu’il fut renommé Palais d’été. Mis à nouveau à mal en 1900 par la force expéditionnaire international en répression à la révolte des Boxers, il faut à nouveau restauré. Il est à présent ouvert au public, et ce depuis 1924.

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Shī: Lion gardien chinois

De taille plus modeste que le précédent, il a une superficie de 2.97 km2, couverte au 3/4 d’eau. Il constitue un ensemble harmonieux de jardins, de temples, de pavillons, de ponts et de galeries, autour du lac Kūnmíng. 

Le lac est traversé par le célèbre pont aux dix-sept arches. Pardonnez-moi le peu de photos et en plus souvent prises de loin, il faisait si froid à cette période de l’année que notre visite a été très accélérées, sinon nous aurions perdus nos doigts tellement il faisait froid!

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le lac Kūnmíng, traversé par le pont aux dix-sept arches

Sur ce lac on retrouve également le bateau de marbre, devenu le symbole de l’extravagance et de la démesure des souverains au crépuscule du règne impérial. Bâti en 1755, il fut restauré en 1893 sur ordre de Cixi (qui y consacra des fonds destinés à la modernisation de la flotte de la marine chinoise). Une grande partie du bateau a en réalité été réalisée en bois peint de manière à évoquer du marbre.

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C’est sans le savoir ce jour-là de grand froid que nous avons gravi la colline de la Longévité, culminant à 60m. La plupart des pavillons et temples sont construits sur cette colline, à revoir pour mieux les admirer et surtout pour les photographier. Cette colline offre aussi un magnifique panorama sur Pékin, le temps parfaitement dégagé de cette froide journée de début février nous aura moins offert ça.

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Vu d’en bas: temple bouddhique de la Mer de sagesse en haut de la colline de la Longévité

Nous avons aussi été fascinés par la Longue Galerie (Cháng Láng – 长廊). Longue de 728m, les poutres, cloisons et plafonds sont ornés de plus de 14000 peintures évoquant des scènes de l’histoire et de la mythologie chinoises, ainsi que des textes classiques de la littérature.

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Longue galerie

Finissons cette visite par la rue Suzhou, située à l’entrée du site, qui est une reconstitution d’une rue commerciale construite sous les ordres de l’empereur Quianlong. Comme à Suzhou (une Venise de Chine), elle est bordée par un canal, où l’on pouvait bien-entendu patiner à cette période de l’année.

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Je risque malheureusement de vous parler de Pékin uniquement pendant encore un long moment. C’est beau biensûr, mais tout comme Paris n’est pas la France, Pékin n’est sans doute pas la Chine non plus.

 

Robinsons à Pékin 2.0.

Robinsons à Pékin 2.0.

Toujours dans l’idée de chercher à mieux comprendre la Chine, j’aime me plonger dans des lectures sur son histoire, que ce soit des documentaires historiques ou tout simplement sous forme de romans historiques, voir contemporains. Je voudrais donc vous partager aujourd’hui une de ces lectures, qui est une BD autobiographique.

Pourquoi est-ce que je me focalise sur cet ouvrage plutôt qu’un autre? Outre le fait qu’il est très agréable à lire, aussi bien Julien que moi nous nous sommes faits la même remarque: que l’arrivée à Pékin se fasse dans les années 80 ou 35 ans plus tard, les constats et difficultés du quotidien sont très semblables. J’ai trouvé ça plutôt rassurant finalement. C’est amusant aussi de lire des passages concernant des lieux que l’on connaît, finalement nous allons tous aux mêmes endroits… Certaines choses ont biensûr évolués, mais d’autres beaucoup moins.

Tout d’abord, comme relaté dans ce livre, nous éprouvons aussi de grandes difficultés à nous fondre dans le peuple chinois. Certes, individuellement les chinois sont vraiment très attachants, il y a toujours quelqu’un pour nous aider, mais la société est faite pour maintenir cette frontière invisible qui nous empêche de créer de vrais liens avec eux. Je ne trouve finalement pas de meilleurs mots que ceux repris du livre:

Trop s’intégrer est en réalité mal vu par le régime, qui craint une « pollution spirituelle » et que la démocratie ne déteigne sur le peuple. Nous vivons pourtant ce rêve chimérique de sauter la barrière et de franchir tous les obstacles pour y parvenir. Mais comment peut-on à la fois rester soi-même, fier de sa culture, et « devenir chinois »?

Il y a aussi biensûr la lourdeur administrative qui est toujours bien présente de nos jours. On a beau être à présent dans un pays ultra digitalisé, le sacro-saint tampon rouge est toujours indispensable, et la façon de l’apposer est encore tout un art.

Vous y reconnaitrez également nos difficultés des débuts, où faire ses courses étaient assez complexe. C’est un fait intemporel, et tout comme l’auteur nous ne pouvons pas intégralement faire nos courses comme les chinois, compléter de temps en temps avec des produits « comme chez nous » est indispensable, et pour cela nous allons chez Jenny Lou! Vous reconnaîtrez sans doute la petite marchande chez qui Eric Meyer se rendait. Est-ce que les graines de Basilic rapportées d’Europe sont à l’origine de la chaîne de magasin du même nom? L’histoire ne le dit pas.

Par contre, une différence majeure rapport aux années 80 est que biensûr le rationnement n’existe plus. Pourtant, la notion de liberté a une définition toujours bien différente ici. Je pense que nos enfants auront ici bien compris l’importance de vivre dans une démocratie, en ayant vécu dans un pays qui ne l’est pas.

En lisant ces pages, on ressent déjà le fourmillement qui anime la ville de Pékin. Il est toujours là, et a même été accentué avec les progrès des temps modernes et l’évolution des moyens de communications

  • les vélos, même si toujours très présents, ont été remplacés par les scooters électriques
  • les petits marchands sont toujours présents, et de plus en plus accessibles du fait de l’utilisation excessive des livreurs, qui vont partout, tout le temps. Et ici, en termes de consommation, le dimanche est un jour comme un autre
  • les informations circulent très vite du fait du réseau sociale WeChat, qui nous sert aussi à payer nos courses, se faire des virements bancaires (ici c’est instantané!), à payer l’eau et l’électricité, suivre les colis venant d’Europe

Mais ces évolutions sont-elles bien positives? Difficile à imaginer que cela arrive en France ou en Belgique, culturellement c’est plutôt inconcevable. Nous n’avons par contre pas non plus le monopole de la bonne solution, peut-être est-elle entre les 2?

En revanche, je suis un peu étonnée d’avoir trouvé ce livre ici (nous avons une libraire francophone à l’Alliance Française). En effet, la seconde partie de l’ouvrage concerne les évènements de 1989. Je ne vais bien entendu pas m’étendre sur le sujet ici, mais laissez-moi vous montrer quelques images prises cet hiver quand nous nous sommes rendus sur la place Tiān’ānmén.

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en arrière-plan: le mausolée de Mao

Située au centre de Pékin, cette place tient son nom de la Porte de la Paix Céleste (Tiān’ānmén – 天安门), qui est l’entrée sud de la Cité Interdite.

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en arrière-plan de ce monument célébrant à la fois les JO d’hiver 2022 et le Nouvel An chinois: la Porte de la Paix Céleste

Outre les nombreux évènements historiques qui s’y déroulèrent, la place Tiān’ānmén est aussi célèbre car il s’agit du quatrième plus grand square au monde (elle mesure un peu plus de 40 ha). C’est aussi là que se trouve un de nos objectifs d’une prochaine visite culturelle: le musée national de Chine

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Je crois que cette place est un des lieux les plus sécurisés de Pékin (et donc de Chine), si ce n’est le plus sécurisés: les accès sont très limités, il faut passer plusieurs points de contrôles des passeports, du Health Kit bien-entendu, des sacs, et même fouille au corps. Pour ceux désirant se rendre à la Cité Interdite par-là doivent compter au moins 1h pour traverser la place et tous ses contrôles.

Même si la place n’est pas particulièrement belle (elle fait très style « communiste ») ça vaut le coup de s’y rendre au moins fois, ne serait-ce que pour se dire « je l’ai vue ».

Le long des canaux pékinois (北京河)

Le long des canaux pékinois (北京河)

Ce sujet dans lequel je me lance n’est pas simple. En effet, pas mal de questions se posent sur le système hydraulique de Pékin, mais il y en fait peu de réponses. La raison est que son histoire est longue, car elle remonte au XIIième siècle, quand la dynastie Jin s’installa à Pékin, afin d’y acheminer des militaires pour la conquête des régions du Nord. La plupart des archives études sur le sujet ont à présent été perdues. On sait que le réseau existant à l’extérieur des murs de Pékin interconnecte les rivières, les canaux, les douves et les lacs. Il y a aussi des écluses par-ci par-là. On ne sait par contre plus où étaient les rivières il y a mille ans, et il n’est pas sûr qu’il existe encore des cours non artificiels à moins de 15km des anciens remparts (actuel second périphérique).

Du côté Est de Pékin, le réseau est relié au Grand Canal, et le transport se faisait avec des bateaux à fond plat (des jonques) halés par des bateliers. Ce Grand Canal (Dà Yùnhé – 大运河), qui fut allongé au fil des dynasties, est le plus grand canal ancien au monde. Il débute au nord par Pékin et se termine au sud à Hangzhou, dans le Zhejiang, avec une longueur totale de 1800 km (estimation variable cependant). Il passe notamment dans les villes de Pékin, Tianjin, et traverse les provinces du Hebei, du Shandong, du Jiangsu et du Zhejiang. Les parties les plus anciennes remontent au Vième siècle av. J.-C. Vers le milieu du XIXième siècle cependant, le développement du transport maritime et l’ouverture des voies de chemin de fer Tianjin-Pukou et Pékin-Hankou réduisirent grandement le rôle du canal comme artère majeure de transport en Chine. D’importantes parties cessèrent d’être entretenues, s’envasant rapidement. Avec l’avènement de la République populaire de Chine en 1949, d’importants travaux de réhabilitation furent engagés sur le Grand Canal pour redonner son importance économique première. Il est à présent inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2014.

Les différentes zones drainées par les canaux, et en particulier par le Grand Canal, bénéficiaient de leur importance économique. En effet, ils permirent tout d’abord de ravitailler la capitale en y acheminant des céréales venant du sud du pays. L’autre fonction est bien sûr l’irrigation des terres traversées par ces canaux. Egalement, la Chine a été de nombreuses fois soumise à de fortes inondations lorsque les cours d’eau naturels sortaient de leur lit (voir les divagations du fleuve Jaune à la fin de cet article), les canaux permirent ainsi de mieux maîtriser les éléments. Il s’agissait également d’un moyen de transport fiable pour les dirigeants qui souhaitaient parcourir régulièrement le sud de l’empire. Enfin, le Grand Canal permit aussi des échanges culturels entre le nord et le sud de la Chine. Le canal fit forte impression aux premiers visiteurs de l’empire. Marco Polo mentionna les ponts avec arches du Grand Canal, ainsi que ses importants entrepôts et le commerce qu’engendrait le canal au XIIIième siècle.

Bref, vous l’aurez compris, les canaux ont ici une importance dans l’Histoire de la Chine, tant sur le plan économique, militaire, politique, culturel, mais aussi bien entendu géographie. A présent à Pékin, ils sont très appréciés pour les longues balades du week-end, aussi bien à vélo qu’à pied, comme ici le long du Liàngmehé et du Bàhé.

De nuit, les canaux, et plus particulièrement le Liàngmahé 亮马河, offrent un repère très agréable pour se promener et admirer les jets d’eau et jeux de lumières. J’apprécie notamment beaucoup une séance de yoga au crépuscule sur un des pontons, c’est parfait pour évacuer la nervosité de cette interminable période d’école à la maison. S’y retrouver le soir pour écouter de la musique est aussi une excellente manière de sortir retrouver un peu de fraîcheur après une journée de forte chaleur.

 

Le nom de ce canal Liàngmahé tiendrait du fait que dans les temps anciens, les convoyeurs de marchandises devaient laver leurs chevaux avant d’entrer dans la capitale. Ils les baignaient dans l’eau du canal et les laissaient se sécher sur la rive, d’où le nom originel de ce tronçon : 晾马河 (en pinyin liàngmahé, signifiant « la rivière où les chevaux sèchent au soleil »). Avec le temps, les gens ont modifié son nom pour le plus élégant 亮马河 (qui se prononce de la même manière mais avec un premier caractère différent, signifiant à présent « la rivière des brillants chevaux »).

Si je me risque au même jeu de traduction du canal Bàhé 坝河, cela signifierait « rivière de la digue » (ou du barrage peut-être). C’est effectivement cohérent avec le fait que ce canal ait été construit il y a près de 800 ans de le but de protéger la ville des inondations récurrentes qu’elle subissait. 

A l’intérieur des murs de la ville (comprendre à l’intérieur du second périphérique), les canaux permettent aussi d’alimenter les lacs dont nous avons parlés lors d’un précédent article. A l’époque, ils permettaient aussi le transport sur des barques.

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Un bras du Grand Canal (si j’ai bien compris) qui alimente le lac Qiǎnhai. A droite on aperçoit un mur du temple du dieu du feu (Huǒshén)

En hiver, il fait si froid que les canaux et les lacs sont gelés (les enfants avaient d’ailleurs pu y patiner). Mais cela n’arrête pas les anciens pékinois, qui n’hésitent pas à aller faire quelques brasses pendant que nous les regardions bien au chaud dans nos grosses doudounes bien épaisses.

J’en profite d’ailleurs pour vous partager quelques clichés d’une randonnée d’une dizaine de kilomètres que nous avions faite en janvier exclusivement sur une rivière gelée, la rivière blanche (qui est naturelle cette fois-ci).

Pour terminer, je profite de ce sujet fluvial pour vous partager un fait historique qui m’a impressionnée (il m’en faut peu, je vous l’accorde :)). Il s’agit des divagations du fleuve Jaune, qui se jette dans le Mer Jaune à l’est de la Chine, dans la zone entre Pékin et Shanghaï (il faut considérer un périmètre large, vous allez comprendre pourquoi). En effet, les divagations du fleuve Jaune désignent les changements de lit du fleuve dans son cours inférieur depuis l’établissement de la civilisation chinoise il y a plusieurs millénaires. Ces modifications du tracé du fleuve proviennent de la topographie régionale, et de la forte charge sédimentaire de ses eaux charriant de grandes quantités de limon. La particularité de ces divagations dans le cas de ce fleuve tient au fait que celles-ci peuvent déplacer son embouchure de plusieurs centaines de kilomètres le long du littoral, au point de la faire passer de part et d’autre de la péninsule du Shandong suivant les époques. Les archives historiques montrent qu’au cours des deux derniers millénaires, le fleuve a connu plus de 1500 modifications mineures, près de 25 modifications majeures, et a changé six fois radicalement son cours. Chaque changement majeur consécutif à une crue a été un désastre humain pour la population noyée (on parle en million pour dénombrer le nombre de morts), et une catastrophe économique imposant de réorganiser les aménagements des voies navigables et notamment la circulation dans le Grand Canal.

Shougang (首钢) – Entre friche industrielle et J.O. fantômes

Shougang (首钢) – Entre friche industrielle et J.O. fantômes

J’ignore pourquoi, mais j’ai toujours été fascinée par les friches industrielles. Ce sont des lieux que l’on sent chargés d’histoire, alors imaginez que ledit lieu ait aussi été utilisé comme site olympique! Je vous emmène donc dans une balade virtuelle à Shougang Park (首钢园).

Shougang (首钢) est une entreprise sidérurgique chinoise privée. Elle est notamment connue pour avoir été obligée de déplacer ses usines polluantes de Pékin dans la province voisine du Hebei avant les Jeux Olympiques de 2008. Implantée en 1919, cette aciérie produisait jusqu’à 10 millions de tonnes d’acier pendant ses années de pleine activité. À l’approche des JO de Beijing 2008, la ville a décidé de mettre en place un plan ambitieux pour lutter contre la pollution atmosphérique. La production a donc été progressivement arrêtée, laissant place à la transformation de la zone industrielle en un centre urbain animé, tourné vers le tourisme, le sport et les manifestations culturelles. Les bâtiments dont la structure était jugée sûre ont été conservés aussi intacts que possible. Les cheminées, hauts-fourneaux et autres vestiges d’usines et d’entrepôts sont désormais entourés de grands espaces verts, d’installations sportives, de bâtiments commerciaux et de bureaux modernes, dont le siège du comité d’organisation des Jeux Olympiques d’hiver de Beijing 2022.

L’élément emblématique ici est biensûr le Big Air, ayant notamment accueillit les épreuves de snowboard et de ski acrobatique l’hiver dernier. Cette rampe (comparée à une chaussure de cristal à talon haut), haute de 61m et longue de 164m, offre un paysage tout à fait étonnant et décalé, du fait de son emplacement à côté d’anciennes tours de refroidissement.

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Il ne s’agit évidemment pas de la seule installation sportive du parc. En effet, deux ateliers de traitement du charbon ont été transformés en sites de patinage de vitesse sur piste courte, de patinage artistique, de curling et de hockey sur glace. Ces installations en intérieur étant actuellement inaccessibles (du fait des restrictions COVID), nous ne pouvons que les imaginer.

Comme vous pouvez l’imaginer, ce lieu est donc très impressionnant, un vrai terrain de jeu pour les photographes en herbe que nous sommes. J’avais envie d’aller explorer chaque recoin, à tel point que Julien n’avait pas deux mais trois enfants à gérer (et je ne parierais pas trop sur celui des trois qui se faisait le plus souvent rappeler à l’ordre 😉 ).

En conséquence des énormes efforts de Pékin pour réduire la pollution (même si au quotidien nous avons dû rogner sur bons nombres de nos habitudes écologiques, mais ça, c’est un autre sujet), c’est sous un ciel bleu éclatant que nous avons pu nous amuser avec les perspectives offertes dans ce lieu mêlant design urbain et passé industriel.

Nous n’avons pas pu assister aux J.O. qui se sont tenus à huis clos cet hiver, et donc déambuler au milieu de cette ambiance J.O. vide en été, alors qu’il y a encore quelques semaines ça grouillait d’athlètes, cela donnait une impression de musée mélangée à une ville fantôme.

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Et bien-entendu au milieu de tout cela, quelques constructions de style plus chinois, qui ajoute encore plus de magie à cet endroit

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Ce qui nous a également beaucoup impressionnés, c’est cette immensité complètement déserte: beaucoup de bâtiments étaient littéralement vide, l’intérieur n’étant encore que de grands murs de béton, alors qu’à l’extérieur ils affichent un design soit très moderne, soit d’un style faisant penser à un squat.

Les rues étaient aussi complètement vide de monde: j’ai par exemple pu prendre le temps de faire une photo en étant assise au milieu de la route, c’est dire!

On se serait finalement cru dans une ville du Far-West des temps modernes, où le temps s’est arrêté. N’étant jamais venus ici hors période de restrictions sanitaires, nous ne savons pas si c’est ainsi désert du fait du COVID et des fermetures des lieux clos, ou si les travaux d’aménagement ne sont tout simplement pas encore terminés. La réponse est sans doute entre les deux.

En tous cas nous retiendrons ce très agréable moment d’évasion hors du temps, en mode exploration urbaine et atelier photos. A refaire assurément, et pourquoi pas sous la neige l’hiver prochain!