Le (et l’ancien!) Palais d’été

Le (et l’ancien!) Palais d’été

Tout d’abord quelques nouvelles du front pékinois. Finalement pas de reprise en présentiel des enfants à l’école d’ici à la fin de cette année scolaire. Re-fermeture des bars et d’un grand nombre de lieux culturels, et il est de plus en plus probable que nous devions décaler à nouveau nos vacances dans le Yunnan… La raison: une personne qui s’ignorait positive (car n’avait pas fait les tests PCR requis toutes les 48h par les autorités pékinoises depuis 2 semaines) a fait la tournée des bars il y a une dizaine de jours (dans un quartier que l’on pourrait comparer au Carré, les Liégeois comprendront), et lesdits bars ne contrôlaient pas scrupuleusement les Health Kit. Résultats: le plus gros cluster COVID jamais enregistré à Pékin depuis le début de la pandémie. Le monsieur en question est à présent en prison paraît-il. Le plus terrible dans cette histoire, c’est que des lycéens du lycée français se trouvaient dans un de ces bars pour fêter la fin de l’année scolaire, et une dizaine d’entre-eux ont été envoyés (seuls) en quarantaine centralisée. Comme disait mon amie Lydie hier matin, une semaine en Chine nous fait gagner 10 ans en maturité, sagesse, résilience. Vous n’allez plus nous reconnaître quand nous reviendrons! 😂

Quand j’ai besoin de me convaincre que notre séjour ici est tout de même une belle expérience, et bien j’écris! Aujourd’hui, je vous propose donc une visite du Palais d’été (Yíhéyuán 颐和园, littéralement jardin de l’harmonie préservée), ainsi que de l’ancien Palais d’été (Yuánmíng Yuán 圆明园, jardin de la clarté parfaite), difficile en effet pour moi de les dissocier. Situé au nord-ouest de la Cité Interdite, dans le quartier des prestigieuses universités chinoises, ce lieu est immense. La visite dont je vais vous parler, nous l’avons d’ailleurs faite en trois fois, dont la première en février, une des journée les plus froide de notre premier hiver pékinois.

Le Palais d’été qui existe aujourd’hui a été construit dans les années 1880, vers la fin du La dynastie Qing (1636 – 1912). Bien qu’il soit appelé « Palais », il s’agit en réalité d’un gigantesque jardin, considéré comme le plus bel exemple au monde de jardin impérial chinois. Ce que beaucoup de gens ne réalisent pas en visitant le Palais d’été aujourd’hui, c’est que ce jardin grandiose et impressionnant n’est en fait que l’ombre de lui-même. En effet, le Palais d’été d’origine, achevé en 1764, a été détruit par les forces britanniques et françaises en 1860, au cours de la seconde guerre de l’opium. Cet épisode historique, bien qu’oublié par une grande partie du monde, continue encore aujourd’hui à être considéré comme un symbole de l’humiliation infligée à la Chine par les puissances occidentales.

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Gravure représentant le sac de l’ancien Palais d’été en octobre 1860

L’ancien Palais d’été:

Le site originel était constitué de trois jardins, et à eux trois ils étaient cinq fois plus étendus que la Cité Interdite et représentaient huit fois la taille de la cité du Vatican. Les empereurs de la dynastie Qing y résidaient et y menaient les affaires d’État (la Cité interdite étant destinée aux cérémonies officielles).

Considéré comme un chef-d’oeuvre de l’art des jardins paysagers chinois, on trouvait dans ce « Versailles de l’Orient » des centaines de structures : salles, pavillons, temples, galeries, jardins à la française, lacs, ponts et labyrinthes. Des centaines d’œuvres d’art et de pièces d’antiquité chinoises étaient conservées dans les salles, ainsi que des exemplaires uniques d’ouvrages et d’anthologies littéraires, faisant ainsi des jardins impériaux une des plus grandes collections au monde. L’empereur affirmait son pouvoir impérial et divin en composant une centaine de paysages, réels ou imaginaires, qui reproduisaient le relief de l’empire, ses neuf continents mythiques, la mer de Chine et l’île légendaire de immortels (*). Il fit également recréer des paysages de la Chine méridionale qui le fascinait.

(*) Dans la mythologie chinoise, le Mont Penglai est la maison des huit Immortels. Ces huit Immortels connaissaient les secrets de la nature. Ces êtres mystérieux sont considérés comme des super-humains qui contrôlent tous les aspects de la vie. Chacun des pouvoirs que détient un immortel peut être transféré à un outil qui peut donner la vie ou détruire le mal. On dit que les huit Immortels vivent dans une montagne des îles Penglai, mais l’emplacement de leur foyer demeure un mystère non résolu. Le mont Penglai est aussi la maison d’Anqi Sheng, un sorcier chinois immortel.

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Illustration de ce que devait être l’ancien Palais d’été à Pékin

A présent, il n’en reste presque rien, sauf des ruines notamment de style occidental. Mais que l’on ne s’y trompe pas, les constructions de style européen étaient assez marginales dans le palais, ayant été construites par les Jésuites afin de satisfaire le goût prononcé de l’empereur Qianlong pour l’architecture italienne et française.

Et des restes de ruines de style plus chinois

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quelques rares restes des ruines de style plus chinois, avec ces sculptures de Shī

Parmi les aménagements apportés au fil des ans, des ouvrages d’eau faits de ruisseaux, lacs et étangs, ont été construits. C’est surtout cela qu’il reste à présent dans l’ancien Palais d’été. Voyez la comparaison entre début mai et maintenant: les lacs et étangs ont été recouverts de lotus et de nénuphars.

Début mai:

Mi-juin:

D’ailleurs, connaissez-vous la différence entre le nénuphar et le lotus? Les feuilles et fleurs de lotus montent, alors que celles des nénuphars restent sur l’eau.

Déambulation dans ce qu’il reste d’un labyrinthe. Il est d’ailleurs assez bien conservé, un mur qui s’effrite fait apparaitre de la brique, qui ne nous semble pas d’époque. Il s’agit sans doute d’une restauration, ici il est toujours assez difficile de différencier ce qui est réellement ancien, et ce qui a été restauré récemment.

J’ouvre ici une petite parenthèse en zoomant sur des gravures de ce labyrinthe, avec cette représentation ressemblant de façon perturbante à la croix gammée nazie. On en voit très régulièrement ici, notamment dans les temples bouddhistes. En réalité, ce symbole est vieux de plus de 5000 ans, et a une connotation très positive en Asie, puisqu’il est synonyme de fortune, de longue vie et était même une représentation du Bouddha lui-même.

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Le Palais fut anéanti une première fois en 1860 par « des diables étrangers ». En effet, en octobre de l’année 1860, lors de la seconde guerre de l’opium (**), une délégation britannique se rendit de Tianjin à Pékin afin de contraindre l’empereur à ouvrir son pays à leurs commerçants et missionnaires. Au lieu de cela, ils furent arrêtés et de nombreux membres de la délégation furent torturés à mort. En guise de représailles, Lord Elgin ordonna aux troupes britanniques de réduire en cendres le Palais d’été, qui avait déjà été pillé par les Français et les Anglais. Beaucoup des trésors volés sont encore aujourd’hui en Europe, je présume notamment au Louvre et au British Museum.

(**) la seconde guerre de l’opium peut être considérée comme un prolongement de la première guerre de l’opium. Il s’agit d’un conflit militaire motivé par des raisons commerciales, opposant le Royaume-Unis et la France à l’empire Qing. Pour faire très simple, ce conflit est dû à la volonté de l’Occident d’imposer à la Chine l’autorisation de commercer l’opium

« Il y avait, dans un coin du monde, une merveille du monde, mais cette merveille a disparu», écrit Victor Hugo en 1861. Fou de rage, l’écrivain s’adresse à un officier anglais, le capitaine Butler, pour s’indigner de la destruction un an plus tôt du Palais d’été de Pékin, dont la renommée égalait à ses yeux le Parthénon, les Pyramides, le Colisée et Notre-Dame de Paris. Il pointe du doigt les deux «bandits» responsables de ce crime: la France, qui a pillé ce «chef-d’œuvre», et l’Angleterre, qui l’a incendié (après s’être également bien servie).

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Buste de Victor Hugo

Extrait de la lettre au capitaine Butler par Victor Hugo le 25 novembre 1861 (je vous la retranscris ci-dessous)

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Extrait de la lettre de Victor Hugo au capitaine

Au capitaine Butler

Un jour, deux bandits sont entrés dans le Palais d’été. L’un a pillé, l’autre a incendié. La victoire peut être une voleuse à ce qu’il paraît. Une dévastation en grand du Palais d’été s’est faite de compte à demi entre les deux vainqueurs. On voit mêlé à tout cela le nom d’Elgin, qui a la propriété fatale de rappeler le Parthénon. Ce qu’on avait fait au Parthénon, on l’a fait au Palais d’été, plus complètement et mieux, de manière à ne rien laisser. Tous les trésors de toutes nos cathédrales réunies n’égaleraient pas ce formidable et splendide musée de l’Orient. Il n’y avait pas seulement là des chefs-d’oeuvre d’art, il y avait des entassements d’orfèvreries. Grand exploit, bonne aubaine. L’un des deux vainqueurs a empli ses poches, ce que voyant, l’autre a empli ses coffres; et l’on est revenu en Europe, bras dessus, bras dessous, en riant. Telle est l’histoire des deux bandits.

Nous Européens, nous sommes les civilisés, et pour nous les Chinois sont les barbares. Voilà ce que la civilisation a fait à la barbarie.

Devant l’histoire, l’un des deux bandits s’appellera la France, l’autre s’appellera l’Angleterre. Mais je proteste, et je vous remercie de m’en donner l’occasion! Les crimes de ceux qui mènent ne sont pas la faute de ceux qui sont menés, les gouvernements sont quelques fois des bandits, les peuples jamais.

L’empire français a empoché la moitié de cette victoire et il étale aujourd’hui, avec une sorte de naïveté de propriétaire le splendide bric-à-brac du Palais d’été. J’espère qu’un jour viendra où la France, délivrée et nettoyée renverra ce butin à la Chine spoliée.

En attendant, il y a un vol et deux voleurs

…….

Le Palais fut anéanti une seconde fois lors de l’intervention des 8 forces alliées suite à la révolte des Boxers en 1900 (insurrection nationaliste chinoise menée par la société secrète des Boxers contre les légations étrangères et les missions catholiques à Pékin). La nature repris alors le dessus, et l’ancien Palais d’été devint alors un véritable self-service à ciel ouvert: pierres et bas-reliefs y furent pillés et utilisés pour d’autres édifices. On a présent du mal à imaginer ce que fut autrefois ce Versailles de l’Orient.

Le Palais d’été (le nouveau):

Ce jardin impérial regroupe trois secteurs répondant chacun à une fonction particulière: activités politiques et administratives, résidence impériale, méditation et communion avec la nature dans le jardin paysager. Le palais d’été illustre parfaitement l’art du jardin paysager chinois en vogue sous les dynasties impériales en Chine. Entre 1750 et 1764, l’empereur Qianlong (dynastie Qing) créa le jardin des Ondes claires (appelé palais d’été à la fin du XIXième siècle) autour du lac Kūnmíng, et fit construire des temples et pavillons sur la colline de la Longévité, nom donné à l’occasion du soixantième anniversaire de sa mère.

Tout comme l’ancien Palais d’été, il fut très endommagé en 1860, lors de la seconde guerre de l’opium. Plus petit que l’ancien, le jardin et ses édifices furent reconstruits à partir de 1886, pour l’impératrice douairière Cixi. C’est là qu’il fut renommé Palais d’été. Mis à nouveau à mal en 1900 par la force expéditionnaire international en répression à la révolte des Boxers, il faut à nouveau restauré. Il est à présent ouvert au public, et ce depuis 1924.

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Shī: Lion gardien chinois

De taille plus modeste que le précédent, il a une superficie de 2.97 km2, couverte au 3/4 d’eau. Il constitue un ensemble harmonieux de jardins, de temples, de pavillons, de ponts et de galeries, autour du lac Kūnmíng. 

Le lac est traversé par le célèbre pont aux dix-sept arches. Pardonnez-moi le peu de photos et en plus souvent prises de loin, il faisait si froid à cette période de l’année que notre visite a été très accélérées, sinon nous aurions perdus nos doigts tellement il faisait froid!

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le lac Kūnmíng, traversé par le pont aux dix-sept arches

Sur ce lac on retrouve également le bateau de marbre, devenu le symbole de l’extravagance et de la démesure des souverains au crépuscule du règne impérial. Bâti en 1755, il fut restauré en 1893 sur ordre de Cixi (qui y consacra des fonds destinés à la modernisation de la flotte de la marine chinoise). Une grande partie du bateau a en réalité été réalisée en bois peint de manière à évoquer du marbre.

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C’est sans le savoir ce jour-là de grand froid que nous avons gravi la colline de la Longévité, culminant à 60m. La plupart des pavillons et temples sont construits sur cette colline, à revoir pour mieux les admirer et surtout pour les photographier. Cette colline offre aussi un magnifique panorama sur Pékin, le temps parfaitement dégagé de cette froide journée de début février nous aura moins offert ça.

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Vu d’en bas: temple bouddhique de la Mer de sagesse en haut de la colline de la Longévité

Nous avons aussi été fascinés par la Longue Galerie (Cháng Láng – 长廊). Longue de 728m, les poutres, cloisons et plafonds sont ornés de plus de 14000 peintures évoquant des scènes de l’histoire et de la mythologie chinoises, ainsi que des textes classiques de la littérature.

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Longue galerie

Finissons cette visite par la rue Suzhou, située à l’entrée du site, qui est une reconstitution d’une rue commerciale construite sous les ordres de l’empereur Quianlong. Comme à Suzhou (une Venise de Chine), elle est bordée par un canal, où l’on pouvait bien-entendu patiner à cette période de l’année.

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Je risque malheureusement de vous parler de Pékin uniquement pendant encore un long moment. C’est beau biensûr, mais tout comme Paris n’est pas la France, Pékin n’est sans doute pas la Chine non plus.

 

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