Les langues chinoises (普通话)

Les langues chinoises (普通话)

Loin de moi l’ambition de faire ici ce que certains ont mis des années à étudier, via des thèses et autres recherches longues et fastidieuses. Je voudrais simplement vous partager ici ce que j’ai appris de la langue chinoise, et en particulier des caractères chinois. Vous allez voir, c’est passionnant (et surtout ça change les idées par rapport à l’actualité du moment).

Commençons par un peu d’histoire de la langue chinoise, ou plutôt deS langueS chinoiseS (le pays est si vaste, c’est assez logique d’imaginer le développement de différents dialectes). Les langues chinoises appartiennent à la famille des langues sino-tibétaines. Le chinois archaïque était d’ailleurs plus proche du tibétain que des dialectes chinois modernes. Au fil des dynasties, le chinois, comme toute langue vivante, évolue. On distingue au cours de ces évolutions des dialectes populaires et des dialectes réservés aux lettrés et aux écris officiels. Le dialecte le plus parlé, notamment dans les provinces du nord, s’est vu désigné par les Occidentaux comme le Mandarin. En 1956, la république populaire de Chine a adopté le Mandarin, qui est le dialecte pékinois, comme langue officielle. Le Mandarin standard s’impose donc depuis progressivement, bien qu’il subsiste encore de nombreux dialectes locaux dans la Chine contemporaine.

Les chinois eux-mêmes appellent la langue chinoise de plusieurs façons: pǔ tōng huà (普通话) utilisé en Chine continentale et signifiant « langue commune », guó yǔ (国语) utilisé sur l’île du Sud Est de la Chine (que nous appellerons T. dans la suite de cet article) et signifiant « langue nationale », et huá yǔ (華语) utilisé à Singapour et en Malaisie, et signifiant « langue chinoise ».

Parmi tous les dialectes chinois, il y a le cantonais (Yuè ou 粤), qui est parlé à Hong Kong et Canton, et qui est très distinct du mandarin (un peu comme le français par rapport à l’italien). Cependant, beaucoup de ces dialectes utilisent des caractères chinois pour leur forme écrite, de sorte que les locuteurs mandarins et cantonais peuvent se comprendre par l’écriture, même si les langues parlées sont mutuellement inintelligibles. Pour vous donner une idée, cette carte montre la répartition linguistique des langues chinoises.

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Répartition linguistique des dialectes chinois (source: Wikipédia)

L’écriture chinoise n’est pas la plus ancienne, les premières traces d’hiéroglyphes et de l’écriture cunéiforme étant antérieures, mais il s’agit de l’écriture la plus ancienne encore utilisée de nos jours. Les premières traces écrites des caractères chinois remontent à environ 1300 avant J.-C, époque de la dynastie Shang. Ces premiers caractères ont été retrouvés gravés sur des os et écailles de tortue, et avait un but divinatoire. La dynastie Zhou repris ensuite le système d’écriture des Shang, et c’est là que l’on commence à retrouver des écrits avec des informations plus concrètes que les divinations, et où la gravure sur os fit place aux écrits sur bronze. C’est sous l’ère des Zhou que cette écriture fut petit à petit étendue sur tout le territoire (territoire ne correspondant pas réellement à la Chine actuelle, la notion de frontière de l’époque étant différentes de celle de nos jours).

Les premières formes de caractères chinois étaient des pictogrammes (c’est-à-dire des représentations graphiques d’objets réels), puis ils sont devenus plus stylisés et en sont venus à représenter aussi des idées, ou des sons (nous y viendrons plus loin en détails). Chaque caractère représente une syllabe, pouvant être utilisée comme mot seul ou devant être combiné avec d’autres pour former un mot. Afin de simplifier l’apprentissage des caractères et d’améliorer l’alphabétisation de la population, le gouvernement chinois a commencé à simplifier les caractères dans les années 1950. Ces caractères simplifiés, qui comportent moins de traits par rapport aux caractères traditionnels, sont à présent utilisés en Chine continentale, à Singapour et en Malaisie, tandis que T. et Hong Kong utilisent toujours les caractères traditionnels.

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Prenons l’exemple de l’évolution des trois caractères de l’image ci-dessus pour illustrer cela:

  • rì (日) signifiant de nos jours « soleil » et « date ». Le pictogramme original était un rond, représentant la forme du soleil, avec un point ou un trait, représentant la lumière du soleil. Initialement ce caractère signifiait « soleil ».
  • rén (人) signifiant de nos jours « personne » et « gens ». Le pictogramme originel représentait une silhouette debout de profil. La signification originale était « les animaux plus haut qui savaient fabriquer des outils pour transformer les choses de la nature et qui utilisaient le langage ».
  • yú (鱼) signifiant de nos jours « poisson ». De façon évidente, le pictogramme originel représentait un poisson, et signifiait « vertébré aquatique ».

Pour nous occidentaux, apprendre le chinois avec ces caractères qui ne sont pas des lettres est extrêmement compliqué. Le pinyin permet de contourner cette difficulté. Ce système de romanisation chinoise fut proposé pour la première fois au XVIIème siècle par le missionnaire jésuite français Nicolas Trigault. Le gouvernement chinois n’a cependant reconnu officiellement cette forme linguistique que dans les années 1950, sous le règne de Mao Zedong.  Le pinyin a ensuite été introduit à l’école élémentaire, afin d’améliorer le taux d’alphabétisation des enfants, et de normaliser la prononciation des caractères chinois. À l’ère du numérique, le pinyin est aussi devenu très utile, car c’est le moyen le plus populaire et le plus courant de taper des caractères chinois sur un clavier. Il est vrai que les appareils à écran tactile vous permettent aussi de dessiner le caractère, mais cela prend souvent beaucoup plus de temps. Attention cependant, les lettres en pinyin ne se prononcent pas toujours comme en français. Par exemple, « q » se prononce « tchi », ou encore « x » se prononce « shi ». Une autre difficulté réside dans le fait que toutes les langues chinoises sont tonales, ce qui signifie que la signification des mots varie selon la façon dont ils sont prononcés. Par exemple le Mandarin comporte quatre tons, mais d’autres langues chinoises en ont jusqu’à dix! Voici un exemple pour vous illustrer cela (en Mandarin):

  • mā (妈): premier ton, signifie « maman »
  • má (麻): deuxième ton, signifie « chanvre »
  • mǎ (马): troisième ton, signifie « cheval »
  • mà (骂): quatrième ton, signifie « gronder ». Pour moi ce quatrième ton est le plus compliqué à prononcer.
  • un ton neutre aussi vient faire un cinquième ton. Dans notre exemple, « ma » est mot interrogatif pour dire « quoi » ou « que »
  • on peut noter que dans les caractères précédents des « ma », on retrouve souvent le caractère 马. Ce caractère indique la prononciation du mot, le second caractère qui lui est associé donne la signification.

Il est donc très important d’avoir une bonne prononciation pour bien se faire comprendre. En effet, une mauvaise utilisation du ton peut entraîner des mots complètement différents. Par exemple, 水饺 shuǐ jiǎo (raviolis chinois bouillis ou jiaozi) et 睡觉 shuì jiào (se coucher) ont la même orthographe, mais des tons différents. Cela peut devenir un moment gênant si vous demandez accidentellement à la serveuse de coucher (avec vous) au lieu de commander des raviolis… Le pinyin est donc aussi pour cela indispensable pour bien mémoriser ces tons. Ayant une mémoire plutôt visuelle, mes cahiers de chinois sont donc complètement fluorés de bleu (premier ton, comme le ciel), de vert (pour le second ton, qui monte comme le haricot magique), de jaune (troisième ton qui ondule comme les blés), et de rouge (quatrième ton, plus cassant, plus dur).

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Un même mot en pinyin, avec le même ton, peut avoir aussi plusieurs significations (avec un caractère différent pour chacune cependant). Par exemple wǔ peut signifier aussi bien « midi » (午) que « cinq » (五). Dans ce cas, dans le langage verbal, c’est le contexte de la phrase qui permet d’en comprendre la signification.

On sent donc bien ici que les caractères chinois introduisent des subtilités que le pinyin ne permet pas. Il est donc indispensable d’apprendre les caractères chinois, dès le début de l’apprentissage de la langue, le pinyin ne restant qu’une aide à cet apprentissage. Il existerait jusqu’à 56 000 caractères chinois. Ne nous emballons pas, nous n’atteindrons pas ce niveau (quoique peut-être les enfants?). Mais il est admis qu’il faut connaître 100 caractères pour se débrouiller dans la vie de tous les jours (c’est le kit de survie). Pour avoir un bon niveau moyen, il faut connaître entre 800 et 1000 caractères. Cela ne fera pas de nous des bilingues en chinois, mais cela nous fera un bon niveau pour la vie de tous les jours. Pour prétendre être bilingue, il faudra ensuite connaître entre 3000 et 5000 caractères. Pour apprendre et retenir tous ces caractères, la seule et unique recette est de les copier, de les recopier, et de les re-recopier. Les enfants à l’école élémentaire consacrent d’ailleurs 60% de leur programme scolaire à l’apprentissage du chinois. Il n’y a pas de secret, on n’a rien sans rien.

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Les premiers caractères d’Augustin

Il y a six types de caractères (liùshū 六书, ou littéralement « les six livres »): les pictogrammes, les phono-sémantiques, les idéogrammes simples, les idéogrammes composés, les caractères mutuellement explicatifs, et les caractères d’emprunt.

  1. les pictogrammes: il s’agit des caractères les plus simples et aussi les plus faciles à retenir, puisqu’ils ressemblent à l’objet qu’ils représentent. Cela dit ça n’est pas forcément flagrant vu comme ça, il est donc intéressant de voir le caractère original au préalable, qui lui est très ressemblant, ainsi sa forme simplifiée nous paraît aussi ressemblante:
    • 日 (rì): soleil
    • 月 (yuè): lune – mois (car le calendrier chinois est un calendrier luni-solaire)
    • 木 (mù): arbre
    • 火 (huǒ): feu
  2. les caractères phono-sémantiques: cela signifie que l’on peut déduire la prononciation et la signification de ces caractères uniquement en les regardant. Ces caractères sont des caractères composés, avec d’un côté la signification (généralement à gauche), et de l’autre la prononciation (à droite). Par exemple ici pour « yang » (羊):
    • 样 (yàng: apparence, forme): 木 (mù = bois)
    • 洋 (yáng: océan):  氵(shuǐ = radical pour l’eau) + 羊 (yang)
    • 佯 (yáng: prétendre): 亻(rén = radical pour personne)
    • 痒 (yǎng: chatouillement, démangeaison): 疒 (nè = radical pour malade)
  3. les idéogrammes simples: représentent des idées de façon explicite. Par exemple: 上 (shàng: haut) et 下 (xià: bas). Ou encore 一 (yī: un), 二 (èr: deux), 三 (sān: trois). Ensuite les caractères des nombres deviennent différents, ajouter plus de traits rendrait ces caractères non harmonieux.
  4. les idéogrammes composés: ces caractères sont également assez explicites. Ils sont généralement créés par la combinaison de deux ou plusieurs pictogrammes ou idéogrammes, mais ils sont plus abstraits. Prenons l’exemple de 休 (xiū, signifiant « se reposer). Il résulte de la combinaison de 亻(radical rèn: personne) et de 木 (mù: arbre). Pensez à « se reposer à l’ombre d’un arbre »!
  5. les caractères mutuellement explicatifs: il s’agit de caractères dont la signification est influencée par d’autres mots (je n’en suis malheureusement pas encore à ce niveau d’apprentissage pour vous donner un exemple)
  6. les caractères d’emprunt: il s’agit de caractères qui ont été utilisés pour en créer d’autres qui sonnent de la même manière, ou sont similaires Prenons l’exemple du caractère 来 (lái) : à l’origine 来 signifiait « blé », mais ce sens a été progressivement remplacé et 来 a commencé à être utilisé comme verbe signifiant « arriver ». Un nouveau caractère, 麦 (mài), a donc été attribué pour représenter le « blé ». Remarquez le changement dans le son initial, qui est passé de « l » dans 来 (lái) à « m » dans 麦 (mài)

Attention ensuite à bien écrire les traits constituant ces caractères dans le bon ordre, afin qu’ils soient toujours « harmonieux », « équilibrés ».

Les caractères restent donc la vraie difficulté de cette langue. Mais elle est aussi très simple car il n’y a ni grammaire, ni conjugaison (ce qui plaît énormément à Augustin 😉 ). Cette langue est en fait très logique, ça en est presque un jeu. Elle est aussi très belle car, au travers de son apprentissage, on comprend énormément de choses sur la culture et sur l’histoire de la Chine. Après tout, pour comprendre un peuple, une société, il faut en comprendre sa culture et son histoire, et cela passe souvent par l’apprentissage de sa langue.

Savez-vous comment la langue française est perçue par les Chinois? Ils disent que notre langue donne « l’impression d’un fleuve qui chante ». Et il est vrai qu’à contrario, le chinois est, du fait des tons et de l’absence de grammaire, plus rude à l’oreille. Au début, j’avais d’ailleurs souvent l’impression de me faire crier dessus en permanence, car c’est assez agressif. Mais non, c’est juste leur façon de parler…

Pour clôturer cet article, sachez que les chinois aiment attribuer des noms chinois aux Occidentaux, avec une prononciation proche du nom d’origine, mais aussi une signification poétique pour nous décrire. Je vous laisse donc déchiffrer les noms chinois que Julien et moi avons reçus: 柏蔚逸 et 安琪.

Bonne journée, et bonne semaine!

6 réflexions au sujet de « Les langues chinoises (普通话) »

  1. Super explications, très intéressantes.
    Pour les deux derniers mots de la fin, il va falloir que je travaille un peu pour les déchiffrer, mais je prends un pari : Gentille et Macho !
    Pour le fun, bien sûr

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  2. Comme je suis un peu paresseuse, j’ai tenté le traducteur chinois-français, donc pour Julien, ça donne  » Bai Weiyi  » (mot à mot = cyprès + resplendissant + exceller – mais où ont-ils été trouver tout ça ??) et pour Angélique  » Angie  » (pas de mot à mot trouvé).

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    1. Bien joué! Effectivement, pour Julien cela signifie « le grand élégant coloré » (coloré pour ses yeux bleus). Ca lui va à merveille ;-). Pour moi, cela signifie la reine de Jade (ou quelque chose dans le genre). L’idée étant que phonétiquement cela ressemble à nos vrai nom ou prénom, et d’avoir un peu de poésie derrière

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