Yunnan (云南) – Voyage aux portes du Tibet

Yunnan (云南) – Voyage aux portes du Tibet

Ça y est, nous avons enfin pu sortir de Pékin pour VOY-A-GER. Oui, le voyage c’est ce que nous plaît, c’est ce que nous voulons transmettre aux enfants, c’est notre carburant. Ce voyage nous l’attendons depuis des mois, la politique COVID appliquée ici nous l’a fait décaler 2x, mais ça y est, le grand jour est enfin arrivé!

Pour notre premier voyage en Chine, nous avons choisi le Yunnan. Quand nous avons commencé la préparation du voyage, nous avions contacté plusieurs agences, car par les temps qui courent voyager seuls quand on ne connaît pas le pays, que l’on ne parle pas la langue et quand on n’est pas chinois est malheureusement déconseillé. Notre cahier des charges était assez simple: nous voulions découvrir la Chine, nous voulions de l’authenticité, sortir des sentiers battus, et nous voyageons avec 2 jeunes enfants qui n’aiment pas toujours autant marcher que leurs parents 😅. Les trois agences contactées ont été unanimes: il faut aller dans le Yunnan! C’est donc Yunnan Roads que nous avons choisi pour organiser notre voyage, juste pour nous quatre, avec un chauffeur guide pour une partie du voyage.

Le Yunnan (云南, signifiant « au sud des nuages »), est une province nichée dans le Sud-Ouest de la Chine, frontalière  avec les forêts tropicales du Vietnam et du Laos au Sud, et de la Birmanie à l’Ouest. Le Nord-Ouest du Yunnan est le début quant à lui des hauts plateaux tibétains, avec notamment la célèbre ville de Shangri-La. Cette province, ayant une superficie équivalente à celle de l’Allemagne, présente une altitude moyenne de 1980m, avec au nord des sommets dépassant les 5000m. La province du Yunnan comporte pas moins de 25 minorités ethniques (sur les 56 recensées sur toute la Chine). D’un point de vue économique, c’est une des provinces les plus pauvres de Chine, mais c’est aussi la plus riche de par sa diversité: le territoire, recouvert à 40% de forêts et à près de 94% de montagnes, est caractérisé par la plus importante variété de climats, de paysages, et de populations de Chine.

Il était évident qu’en 2 semaines et demi nous ne pouvions pas tout voir, il a donc fallu faire des choix. Nous avons donc choisi de parcourir en itinérance toute la partie nord-ouest du Yunnan pendant les 10 premiers jours de notre voyage (cela fera l’objet de cet article ainsi que du suivant), pour finir par une semaine « tranquilles » dans l’ambiance subtropicale des bords du Mékong (cela sera le troisième article de ce voyage).

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Au départ de Pékin (rouge): road trip dans le Nord-Ouest du Yunnan (bleu), semaine dans l’ambiance sub-tropicale du Sud.

Mais nous reviendrons! Il nous faudra en effet approfondir certaines de nos pépites découvertes lors de ce voyage, mais aussi aller voir les rizières en terrasse de Yuanyang au centre de la province, ainsi que les forêts de pierre à l’Est à Kunming. Bref vous l’aurez compris, nous sommes revenus à Pékin avec nos têtes pleines de souvenirs, nos batteries rechargées à bloc, ravis de toutes les belles rencontres faites lors de ce voyage, et par-dessus tout heureux d’avoir enfin pu goûter à cette Chine que nous étions venus chercher en venant vivre ici.

Dǎlì (大理) et Xizhou (喜洲): Nous commençons donc notre périple par la ville de Dǎlì. Perchée à une altitude de 2000m, la ville de Dǎlì s’étant le long du lac Erhai, au pied de la chaîne des Cangshan. Cette région est habitée essentiellement par les Bai (il y en a environ 2 millions dans le Yunnan). La communauté Bai (signifiant « Blanc » du fait de la couleur dominante du costume féminin) se forme au début de notre ère, à l’époque des royaumes de Nanzhao et de Dali. Elle est constituée de l’ensemble des populations qui occupent alors la région du lac Erhai, c’est à dire d’indigènes, de migrants Han (c’est-à-dire l’ethnie qui constitue le peuple chinois historique), de Di et Qiang tibétains, de Birman et de Yi, fusionnant localement pour former la culture Bai. En 1958, pendant la révolution culturelle, une grande partie des Bai fuient en Birmanie.

Nous n’avons pas pu passer autant de temps que prévu à Dǎlì, du fait de la suppression du vol prévu initialement et du basculement sur un autre nous faisant arriver seulement en fin d’après-midi. Nous n’y avons passé qu’une soirée, mais d’entrée nous avions l’impression d’avoir changé de Chine. Des couleurs, des rues pleines de monde (sans masque! Nous avons mis un peu de temps à nous rendre compte que nous étions les seuls à porter le masque, réflexe que nous nous sommes empressés d’oublier). Des sourires, et beaucoup de regards curieux, car les touristes étrangers dans cette région son très rares par les temps qui courent, et du fait que le Yunnan n’autorisaient pas les voyageurs avec étoile (voir mon article précédent). Dans la vieille ville de Dǎlì, pas d’immeubles mais des bâtiments bas dont les façades sont habillées de grandes portes en bois, qu’il s’agisse d’habitations, de boutiques ou de restaurants.

En déambulant dans les rues du vieux Dali, notre constat fut aussi qu’ici les gens ont un faciès bien différent de celui que nous avons l’habitude de voir à Pékin. Pour faire simple, je dirais qu’ici les visages font « moins chinois », avec des yeux moins bridés, et des pommettes moins saillantes. Aussi, là où à Pékin il est important d’avoir une peau très blanche (signe d’un rang social plus élevé), ici les peaux sont plus mates. Cela dit, la Chine est un pays si grand, il n’est pas étonnant de voir de telles différences!

En arrivant dans un restaurant recommandé par le chauffeur de taxi nous ayant emmené de l’aéroport, nous avons même eu droit à des applaudissements de la part de nos voisins de table quand nous nous installés pour le dîner. Pour ce premier repas des vacances, il nous a été conseillé d’aller manger un barbecue, spécialité locale où l’on met à cuire nous même les différents ingrédients individuels commandés. Pensant prendre des petits légumes en sauce, nous avons en fait pris de la grenouille, coupé en petits morceaux (avec les os). En plus du fait que c’était ultra épicé, on passait plus de temps à enlever les petits os (sans pour autant les recracher par terre comme c’est l’habitude ici) qu’à goûter ce plat. Mais comme tout premier repas de vacances, c’était succulent.

Nous avons ensuite encore un peu flâné dans les rues animées du soir, avant de retrouver notre taxi pour notre premier hôtel. Ce fut déjà l’occasion de voir quelques curiosités, comme des lamas promenés en rue à l’instar de nos chiens, ou le Mac Do du coin installé dans un bâtiment « typique chinois », on encore une dame revêtue d’une robe de princesse (nous en comprendrons plus tard la raison de cette « habitude de touristes »).

Une autre chose que nous avons vue pour la première fois, ce sont ces salons où l’on vient pour se faire récurer les oreilles. Nous ne comprenions pas de prime abord pourquoi des gens équipés d’une lampe frontale se penchaient sur le côté de la tête de personnes installées sur des chaises longues en rang d’oignons. Puis en voyant une affiche avec des images peu ragoûtantes d’oreilles sales, nous avons compris de quoi il s’agissait. Quelle drôle d’idée tout même 😅!

Nous prenons ensuite la route pour Xizhou (à 20km du vieux Dali), où nous passerons nos deux premières nuits. Le lieu où nous arrivons est une réelle surprise pour nous. Cet hôtel occupe une ancienne grande demeure aristocratique chinoise construite en 1948, et qui fut restaurée par un très sympathique couple d’antiquaires originaires de Chicago. Avec cette superbe entrée et ses cours carrées, il s’agit d’une bâtisse dans le pur style de la minorité Bai. Peu de temps après sa construction au milieu du siècle dernier, cette fastueuse demeure fut réquisitionnée par l’armée populaire immédiatement après la prise de pouvoir communiste. C’est ce qui la sauva pendant la révolution culturelle, l’armée ayant protégé les magnifiques bas-reliefs, portes ciselées et sculptures contre les exactions des Gardes rouges.

Le calme de cette première soirée, le ciel noir sans pollution lumineuse, le bruit des insectes (et les piqures de moustiques qui vont avec), l’odeur caractéristique de l’air humide mêlé au parfum de fleurs, enfin un retour au calme qui nous a tant manqué dans l’effervescence pékinoise.

Le lendemain, nous partons à la découverte de la bourgade de Xizhou. Malgré que cela soit tout à fait faisable à pied, nous cédons à la demande des enfants de la faire en tchouk-tchouk, où pour une poignée de ¥ le chauffeur nous emmène dans des lieux significatifs de la ville.

La bourgade de Xizhou conserve l’un des plus beaux ensembles de demeures Bai de la région, avec leurs élégants portails ouvragés et leurs toits de tuiles à la forme caractéristique. Les cours intérieures de ces demeures typiques sont bordées sur trois côtés de pièces, et par un mur décoratif protégeant ses habitants des mauvais esprits (mais aussi garant de l’intimité de la famille).

Derrière les grandes portes en bois habillant toutes les maisons de la rue principale, on peut aussi bien trouver un épicier, un coiffeur, voir même le Leroy Merlin du coin 😉.

Au cours de notre balade en Tchouk-tchouk, nous avons poussé des portes que nous n’aurions même pas penser regarder, et souvent des petits trésors s’y cachaient, comme cette école de fabrication de tableaux en fil de soie, un réel travail d’orfèvre. Même si le procédé de fabrication de la soie est assez contestable, le résultat n’en est pas moins bluffant.

Derrière une autre porte nous pouvons prendre le thé, selon la cérémonie du thé. Je vous décrirai le principe de cette « cérémonie du thé » dans un prochain article, et je pense que nous vous le ferons découvrir en vrai quand nous reviendrons en Europe. Ici, le thé est biensûr disponible en vrac, comme chez nous, mais aussi sous forme de « cake », sorte de disque de thé compacté.

Sur la place centrale, on peut trouver de nombreuses gargotes où croquer des xizhou baba, des pains fourrés de lardons et ciboulette pour la version salée, ou de sucre et purée de haricots rouges pour la sucrée. On y trouve biensûr aussi de nombreux commerces (la ville est tout de même très touristique) dont de bijoux en argent. Je pense que je devrai y consacrer un article aussi, mais pour très fortement simplifier, il faut savoir que l’histoire de la Chine a été fortement façonnée par le métal argent. On y trouve donc énormément de bijoux et autres objets et argent, et souvent on peut regarder l’artisan le travailler au fond de la boutique ou à l’entrée.

A Xizhou nous avons aussi eu l’occasion de nous promener dans les rizières, qui s’étendent à perte de vue. A cette époque de l’année, elles sont encore vertes, mais vont très vite jaunir (comme le blé) jusqu’à la récolte en octobre. Elles seront alors nettoyées puis remise en eau fin novembre/début décembre.

Nous avons ensuite trouvé un très agréable toit-terrasse pour le dîner, au milieu des rizières justement, où nous avons notamment goûter des oeufs de 100 ans. Il s’agit d’un mets typiquement chinois, qui s’obtient en laissant vieillir des oeufs pendant au moins 2 moins dans un mélange de boue riche en chaux, de thé, de cendre et de bicarbonate de soude. Le blanc d’oeuf prend alors une couleur marron translucide, comme de la gelée, et le jaune devient bleu-vert. On ne va pas vous mentir, nous n’avons pas réussi à apprécier ce plat à sa juste valeur…

Lors de notre retour à l’hôtel, nous nous sommes arrêtés regarder les dames de la bourgade (souvent assez âgées) se retrouver pour danser sur des musiques pleines d’entrain. Car rappelons-le, les chinois aiment se retrouver dehors quand la fraîcheur revient, pour jouer aux cartes, au mahjong, jouer à divers jeux d’extérieur, mais aussi danser.

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La route vers Shaxi (沙溪): nous faisons à présent connaissance avec Jeff, qui sera notre chauffeur et guide pour les sept prochains jours. N’ayant en effet pas le droit de conduire ici en Chine et n’étant pas capable de mener une conversation en chinois, c’est indispensable (Jeff parle anglais). Nous prenons donc la route pour Shaxi, seconde étape du voyage, avec un premier arrêt à Zhoucheng. Ce village de minorité Bai est réputé pour ses batiks bleus aux motifs blancs. La plupart des ateliers impriment ces tissus, mais certains (quoique de moins en moins nombreux) entretiennent encore la méthode traditionnelle, qui consiste à nouer le tissu avant de le tremper dans une teinture d’indigo. C’est la façon dont le nouage est fait qui fera que l’on obtiendra tel ou tel motif. Le processus de fabrication est celui illustré ci-dessous (vous noterez que même les enfants s’y sont essayés)

Après cette halte assez ludique, nous faisons route et faisons un arrêt déjeuner dans un routier. Au lieu de choisir les plats sur une carte, nous les choisissons directement dans le frigo (en évitant de tourner la tête vers la cuisine, quoique dans celui-ci elle semblait assez propre).

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En Chine, on ne commande pas chacun son plat, mais des plats à partager. Comme toujours, nous nous faisons avoir en commandant trop à manger, d’autant plus que dans notre éducation occidentale, il ne faut pas laisser de reste. Ici, c’est exactement l’inverse: ne rien laisser serait signe que l’on n’a pas assez mangé! D’ailleurs si vous vous faites inviter pour manger au restaurant par un chinois et que vous avez tout mangé, il recommandera des plats en plus jusqu’à que vous en laissiez à table. Nous qui faisons en sorte de ne pas gaspiller de nourriture, ça fait toujours étrange de voir une table après le repas, c’est comme s’ils étaient tous partis en même temps aux toilettes, car jamais nous ne laisserions une table comme cela.

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Nous continuons ensuite notre route vers une seconde halte, sur le magnifique site de Shibaoshan (signifiant « Mont du Trésor de Pierre »). Ce site est connu pour ses grottes troglodytiques, considérées comme la Perle du Yunnan (ou plutôt « une des » selon moi). Il s’agit d’un vaste complexe de grottes datant d’environ 1300 ans, avec de remarquables représentations d’images bouddhistes gravées dans les rochers, dont le Guanyin est le plus populaire. Cet art rupestre témoigne de la popularité du bouddhisme Mahayana, originaire du nord de l’Inde, dans cette région.

Après une ascension en escalier (la Chine ne serait pas la Chine sans ses innombrables marches d’escalier), nous arrivons face à Mahakala, cette divinité bouddhiste à l’aspect effrayant, faisant partie des Dharmapala, gardiens protecteurs de la loi, protégeant la doctrine et ses institutions des forces ennemies.

Pour nous le bouddhisme est assez difficile à comprendre, d’autant plus qu’à l’école j’avais appris qu’il s’agit plutôt d’une philosophie, et non d’une véritable religion. Erreur ou pas, le bouddhisme a comme différence fondamentale avec nos religions le fait de ne pas avoir de dieu créateur. Le bouddhisme, qui est à l’origine un mouvement dissident de l’hindouisme, a vu le jour en Inde, pour pénétrer progressivement toute l’Asie. La base du bouddhisme est que la vie est souffrance, qu’il faut tenter de remonter à l’origine de cette souffrance afin de s’en extraire. Pour cela, l’homme doit faire cesser la douleur (inhérente à cette souffrance née d’une illusion ignorante), en se libérant de ses désirs, du karma, et suivre le Noble Octuple Sentier (chemin qui mène à la cessation de la souffrance et de l’insatisfaction) préconisé par le Bouddha. Au fil du temps, plusieurs branches du bouddhisme ont vu le jour, dont le Mahayana (Grand Véhicule) qui s’est diffusé plus largement en Chine. Cette variante prône une forme plus évoluée du bouddhisme, où le salut est ouvert à tous, et où les règles disciplinaires se relâchent. D’autres écoles plus proches de la tradition tibétaine existent aussi biensûr en Chine.

Dans ce site absolument magnifique, nous entrons dans une grotte dont l’entrée est cachée derrière un temple, avec une magnifique représentation de Guanyin, déesse de la miséricorde, couchée. D’abord figure masculine, comme en Inde, Guanyin est devenu un personnage de sexe féminin en Chine et en Asie de l’Est, chose très rare dans le bouddhisme. De nombreux personnages Dharmapala sont aussi représentés, ainsi que des Dragons. Mais rappelons-le, leur aspect est aussi effrayant que leur rôle est protecteur et bienveillant.

Nous continuons ensuite notre ascension vers un superbe temple, directement construit à flanc de montagne. Ce temple, pourtant de taille normale, semble minuscule à coté des 2 énormes représentations de Bouddha, le gros et le maigre:

  • Chan Butai: le gros Bouddha rieur, symbole de générosité, et porte-bonheur car frotter son ventre apporterait abondance et chance
  • Siddhartha Gautama: le Bouddha historique, qui affiche des traits fins et réguliers, rappelant ses origines nobles. Comme il a vécu et enseigné une vie de modération, il est plutôt représenté mince

Comme toutes les représentations de Bouddha, ils affichent de longues oreilles. Historiquement, Siddhartha Gautama faisait partie d’une famille noble. Il portait donc beaucoup de bijoux, dont des boucles d’oreilles très lourdes. Quand il renonça à ses privilèges pour se tourner vers la simplicité, il retira tous ses bijoux et coupa ses longs cheveux, ne pouvant ainsi plus cacher ses oreilles avec lobes allongés. Ces lobes allongés représentent donc un symbole de renoncement, ou en quelque sorte la bonne voie. En d’autres termes, savoir tout abandonner comme bouddha pour atteindre le nirvana.

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Après cette très agréable visite, nous partons donc pour Shaxi, ville où nous passerons notre troisième nuit. A 140km de Dali, Shaxi est une petite bourgade de caractère, ancien carrefour important de la route du Thé et des Chevaux, branche de la route de la Soie. En effet, il y a 1000 ans, Shaxi devint le nœud prépondérant entre le Tibet et le Sud-Ouest de la Chine. En échange du thé du Yunnan, les Tibétains échangeaient leurs fameux chevaux aux officiels de la dynastie Song dans tout le Sud et l’Est de la Chine, pour les aider dans leur défense contre les invasions venues du Nord. La route des caravanes du thé et des chevaux naquit alors, et Shaxi devint un centre important d’échange le long de cette route.

Au milieu de montagnes et avec ses ruelles tortueuses en pavés, ses maisons en bois et torchis, et ses toits couverts d’herbes, Shaxi semble surgir d’un autre temps, avec un air de village des Alpes chinois (on n’a pas trouvé d’image plus parlante). De jour comme de nuit, Shaxi nous ravi de son charme. On remarquera notamment sur la place centrale, l’élégant théâtre avec son majestueux porche.

Ici, en plus des Bai, on retrouve également en nombre la minorité Yi. Jadis appelés Lolo par les Han (donc les chinois « pur souche ») en signe de mépris, les Yi seraient environ 8 millions en Chine, dont un peu plus de la moitié dans le Yunnan. La plupart vivent sur les hauts plateaux. Il semblerait que leur origine ferait encore débat aujourd’hui: on pense que, descendus des hautes terres de l’Est tibétain, ils se seraient retirés vers le Sud sous la pression des Chinois, occupant progressivement les régions périphériques. Eux aussi possèdent une langue qui leurs est propre, et ont aussi une écriture pictographique.

En route vers la mythique ville de Shangri-La (香格里拉市): les paysages changent, la route monte lentement mais surement (les enfants ont compté pas moins de 16 tunnels traversant les montagnes afin que la nouvelle autoroute reliant Lijiang à Shangri-la fasse son ascension de façon régulière), les montagnes verdoyantes font place à des falaises plus rudes, passé ce pont nous entrons dans l’Himalaya!

Nous passons au pied des montagnes Haba Snow Mountain (sommet à 5400m) et du Dragon de Jade (sommet à 5600m). Quand on voit ces montagnes si hautes et pourtant si peu enneigées par rapport au paysage qui entoure le Mont-Blanc, on se rappelle alors de la différence de latitude entre les deux régions, c’est bluffant.

A 3160m d’altitude et une population de 130 000 habitants, Shangri-la est le chef-lieu de la préfecture autonome tibétaine de Diqing. Shangri-la est bien loin de Lhassa, la capitale tibétaine située à 1870km, mais les Tibétains y représentent tout de même 45% de la population, donnant à la région un avant-goût de Tibet. Bien que situé au Yunnan, Shangri-La et sa région sont réellement tibétains

Le nom Shangri-La est en réalité très récent. Tout a commencé par un reportage sur la culture Naxi réalisé par l’aventurier Américain Joseph Rock pour le magazine National Geographic. En 1933, l’écrivain James Hilton s’en inspira pour son roman « Lost Horizon », dans lequel il décrit une mystérieuse région nommée Shangri-La, située aux confins du sud-ouest de la Chine, cachée dans les forêts, les montagnes, et les canyons. Comme dans un paradis terrestre, ses habitants y vivaient dans un mode écologique et pacifique, en harmonie complète avec la nature, et, moyennant l’absorption d’un élixir secret, éternellement. Ce mythe fut étendu dans le monde suite à l’adaptation de ce roman au cinéma, et des aventuriers et journalistes se lancèrent à la recherche de ce royaume caché. Biensûr, personne ne le découvrit, ce royaume n’ayant existé que dans les esprits. Mais qu’importe, de nombreuses villes voulurent s’en approprier le nom, et c’est finalement en décembre 2001 que le gouvernement central de Chine valida le fait de rebaptiser le district de Zhongdian en Shangri-la (Xianggelila).

Pendant longtemps, Shangri-La était un espèce ce Far West chinois. Gagnant en notoriété, la ville s’est ensuite beaucoup étendue, et perdant ainsi un peu de son caractère de bout du monde. La ville a toutefois gardé son noyau historique, qui a encore tout le charme d’un village de haute montagne, avec une atmosphère unique. En 2014 malheureusement, un incendie ravagea l’ancienne ville de Shangri-La. Tout a été reconstruit depuis, et à présent on y voit que du feu (c’est le cas de le dire).

Shangri-La est beaucoup plus touristique que les villes que nous avons vue jusqu’à présent. Peut-être Dali l’est tout autant, mais nous y sommes restés très peu finalement. Ici nous commençons donc à réaliser ce que sont les Chinois en vacances. Ils (ou plutôt elles) sont notamment très friands de s’habiller en tenue traditionnel du lieu où ils sont, et ensuite de se faire prendre en photo un peu partout dans la ville par un photographe professionnel (du moins qui y ressemble vu la taille des appareils photo) ou par une copine munie d’un smartphone (sans doute une question de budget), le tout dans le but assumé d’alimenter leur compte TikTok et leurs Moments WeChat. Au début nous trouvions cela amusant (même si j’ai encore beaucoup de mal à prendre les gens en photo sans demander leur accord, ce qui n’a pas trop de sens ici), mais à la longue ça devient agaçant, cette façon de faire du tourisme étant complètement artificielle, car c’est la personne qui est mise en avant, et non plus le lieu, aussi beau soit-il.

Ce business doit être très lucratif, car de nombreuses boutiques proposent ainsi des packages avec costume, maquillage, coiffure, et service photos pour quelques heures.

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Nous montons ensuite vers le temple Da Gui Shang, perché sur un tertre naturel dans la vieille ville. En haut d’un escalier orné de drapeaux de prières, une superbe vue sur la plaine de Shangri-La s’offre à nous.

Nous pouvons aussi faire tourner un moulin à prière géant, le plus grand du monde paraît-il (tout est le plus grand du monde de toutes façons en Chine), il faut être au moins six personnes pour le faire tourner. Moi je pense surtout que c’est grâce aux enfants qu’il a pu tourner 😅.

Pour ce premier soir à Shangri-La, nous avons goûté au Hot Pot de Yak, plat traditionnel de la région. C’est un peu comme notre pot au feu (ce plat doit mijoter longtemps aussi d’ailleurs), mais avec de la viande Yak. Pour accompagner cela, nous goûtons au thé façon tibétain, c’est-à-dire du thé noir avec du lait de Yak et du sucre. Même si rapidement nous commandons des bières locales, ce thé est très bon (meilleur que le lendemain en tous cas… vous allez comprendre…).

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Comme je vous le disais plus haut, Shangri-La est situé à plus de 3000m d’altitude. Ça commence à faire haut pour l’organisme, mais pour nous pas de soucis puisque l’itinéraire de notre voyage est monté progressivement en altitude. En revanche, ce n’est pas le cas de tous les touristes chinois que nous avons croisés ici, certains venant par exemple directement de Guangzhou (Canton), qui se trouve au niveau de la mer. Nous avons donc croisé beaucoup de monde dans les rues avec une petite bouteille d’oxygène pur à la main, afin d’aider l’organisme à s’acclimater plus vite. Et c’est là toute l’aberration de la gestion de la sécurité à la chinoise: tout le monde s’équipe de cette bouteille d’oxygène, mais la plupart l’utilise n’importe comment. C’est le cas par exemple de ce groupe d’enfants accompagnés par des animateurs, arrivant directement de Guangzhou, qui se sont installé à la table voisine au restaurant. L’un des enfants s’est mis à respirer en continu pendant au moins 5 minutes sa bouteille d’O2, jusqu’à ce qu’il s’écroule à table. Il a été emmené à l’hôpital illico!

En rentrant vers notre hôtel (ou plutôt notre toute mignonne auberge tibétaine), nous avons pu assister aux danses spontanées des locaux sur la place de la vieille ville.

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Le lendemain, nous partons le long des rives de la réserve naturelle du lac Napa. Il s’agit d’un lac saisonnier, formé chaque été quand la neige accumulée sur les hauteurs alentours fond et s’écoule dans les rivières Naqu et Naizi pour former cet immense lac. À l’arrivée de la saison sèche, le niveau du lac diminue alors peu à peu et prend la forme d’un grand marais. Au mois de septembre, le lac Napa devient un habitat pour de nombreuses espèces d’oiseaux migrateurs, particulièrement pour la grue à cou noir qui est l’espèce la plus présente. On y trouve l’une des douze espèces de grues les plus rares au monde et qui a été reconnue comme appartenant aux Animaux de Protection Nationale.

Aucun doute, nous sommes bien à la saison haute pour le lac, certaines portions de la route qui le contourne étant complètement inondées. Mais aucun problème, les voitures et mêmes les scooters y passent. La voiture de Jeff va toutefois s’en souvenir, une tôle de protection du carter ayant été tordue par la force de l’eau, la faisant alors racler sur la route avec un boucan de tous les diables.

Mais j’en connais un qui était tout content car il avait enfin l’occasion de bricoler un peu

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Nous avons ensuite eu la chance de manger à la table d’une famille tibétaine. Ce repas est essentiellement à base de Yak (lait, fromage et viande), et de tsampa, qui est farine d’orge grillée, que l’on consomme au même titre que le riz.

Savez-vous ce qu’est ce breuvage jaune en bas de la photo? C’est le fameux thé au beurre de Yak. Notre hôte versa au préalable du thé noir bien chaud dans ce tube en bois, dans lequel il devait il y avoir du beurre au fond. Elle le mélangea vivement pendant 2 minutes, puis nous servit nos deux tasses. Nous aurions dû nous méfier quand Jeff a décliné qu’on lui en serve, et pensant avoir le même thé que la veille, nous en avons pris une bonne grosse gorgée… Ben c’est comme boire du beurre liquide… c’est pô bon.

Les maisons traditionnelles ici sont massives, de grandes et hautes pièces en bois organisées autour de ce qui devait être une grange. Ces granges étaient pour la plupart vitrées, ce qui faisait rentrer beaucoup de lumière, et cela devait aussi faire effet de serre pour chauffer l’intérieur en hiver.

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Nous reprenons ensuite la route, avec la voiture rafistolée de Jeff, vers le somptueux temple de Songzalin, la plus grande (et plus belle) lamaserie de la région. Ainsi nommé « petit Potala » (Potala signifiant « montagne de Bouddha ») de par son apparence assez similaire au palais du dalai-lama à Lhassa, il s’agit d’un monastère traditionnel bouddhiste construit en 1679, et rénové plusieurs fois depuis. Aujourd’hui, environ 700 moines et lamas y vivent (dans les habitations en contre-bas du temple). Plus précisément, il s’agit d’une des 13 lamaseries de la secte de Bonnets jaunes.

Le lac Lamuyangcuo qui était en contre-bas du monastère est à présent complètement asséché, il ne nous fut donc pas possible de prendre la traditionnelle photo de loin du monastère, avec son image se reflétant sur l’eau du lac.

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Il nous faut alors gravir un long et raide escalier (encore des marches!), nous permettant d’arriver aux 3 bâtiments principaux.

Nous pouvons alors déambuler dans une succession de salles (toujours dans le sens des aiguilles d’une montre!), impressionnantes de par leur grandeur, leurs couleurs vives, la taille des statues de bouddhas qui y trônent, et surtout de par l’atmosphère de sérénité qui s’en dégage. Nous ne pouvons évidemment pas faire de photos à l’intérieur, il vous faudra donc l’imaginer!

On l’appelle aussi le « temple de la tuile d’or », et pour cause!

Je crois que j’ai déjà trop longuement écrit, je m’arrête là pour aujourd’hui. Notre voyage était biensûr bien plus long que ça, et tout aussi génial. Je reviens très bientôt avec la suite!

6 réflexions au sujet de « Yunnan (云南) – Voyage aux portes du Tibet »

  1. Quel beau voyage et que de découvertes en si peu de temps.
    Merci Angélique de continuer à nous faire rêver et surtout j’ai l’impression que ces vacances vous ont fait un bien énorme.
    Je suis impatient de découvrir la suite de votre périple.
    Bises à tous les 4
    Bernard

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  2. Si seulement nous pouvions marcher sur vos traces…
    Ton récit est si bien fait que nous avons presque l’impression d’être avec vous.
    Un grand merci pour ce blog auquel tu dois consacrer beaucoup de temps, et qui vous permettra à vous aussi de vous remémorer tout votre parcours en Chine.
    Plein de bises à vous 4.

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  3. Bravo Angélique pour ce récit de voyage passionnant et fort bien documenté.
    Les photos sont magnifiques et l’on ressent bien le plaisir que vous a procuré ce voyage.
    C’est riche et fort bien écrit !
    Merci !
    J’attendais impatiemment cet article et je suis de plus en plus impressionné par la qualité de l’écriture .
    Hâte de lire la suite
    Bises

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  4. C’est un superbe récit de voyage comme je les aime. Je pense au récit d’Alexandra David Neil au Népal qui est un récit attirant dont on ne peut pas se détacher et j’attends donc la suite du tien avec impatience.
    Félicitations pour ce travail.
    Grosses bises.
    Joël.

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